La guerre civile qui frappe le Soudan du Sud compromet la sécurité alimentaire de millions de personnes et pourrait rapidement déboucher sur une famine meurtrière.

Les organisations humanitaires présentes dans le petit pays ont lancé un cri d'alarme à ce sujet cette semaine, évoquant l'imminence d'une «catastrophe» dans le petit pays africain.

Une analyse réalisée par le Programme alimentaire mondial, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture et l'UNICEF révèle que près de 2,5 millions de personnes - sur une population totale de 11 millions - vont être soumises à un niveau extrême d'insécurité alimentaire dans les prochains mois.

Dans le nord du pays, la zone la plus touchée par les combats, plus de 15% des enfants souffrent de malnutrition sévère.

La situation est particulièrement critique dans l'État d'Unity, où plus de 30% des enfants se retrouvent dans cette situation. Environ 30 000 personnes risquent d'y mourir de faim dans les prochains mois s'il s'avère impossible de leur acheminer de l'aide.

La représentante adjointe de l'UNICEF pour le Soudan du Sud, Ettie Higgins, qui a visité il y a quelques semaines un camp de protection situé à Bentiu, au coeur de la région la plus touchée par l'insécurité alimentaire, note que la population locale est désespérée.

Certaines femmes doivent marcher «huit ou neuf jours» pratiquement sans eau et sans nourriture avec leurs enfants pour venir réclamer du soutien. Elles arrivent épuisées.

«Ça brise le coeur de les voir. Elles donnent tout à leurs enfants», a indiqué hier Mme Higgins lors d'une entrevue accordée de la capitale du pays, Juba, où elle est installée.

Travail humanitaire compliqué

Les travailleurs humanitaires tentent de rayonner pour rejoindre les populations les plus touchées, mais leur tâche est compliquée par la poursuite des combats.

«Une quarantaine de travailleurs humanitaires ont été tués depuis le début du conflit. On doit prendre d'énormes risques pour circuler», relève Mme Higgins.

Le conflit qui déchire le Soudan du Sud a éclaté à la fin de 2013, deux ans après que le pays a accédé à l'indépendance.

Un affrontement politique entre le président Salva Kiir, issu de l'ethnie Dinka, et son vice-président, Riek Machar, de l'ethnie Nuer, a dégénéré en conflit ouvert. L'armée s'est scindée selon des lignes ethniques, plongeant le pays dans le chaos.

Les deux hommes forts ont conclu un accord de paix en août dernier, mais il a été violé à plusieurs reprises et l'insécurité perdure dans plusieurs zones sensibles.

Un rapport de l'Union africaine rendu public il y a quelques jours dresse un portrait troublant des exactions perpétrées par les deux camps, qui se voient accusés de crimes contre l'humanité.

Le document, dont la diffusion a été bloquée pendant des mois, relève notamment que des civils ont été forcés de boire du sang humain ou de sauter vivant dans des bûchers.

Viols, passages à tabac et meurtres ont été pratiqués de manière «systématique», souvent sur la base de l'appartenance ethnique des victimes, sans que l'Union africaine conclue pour autant à un génocide.

«La guerre de quelques individus»

Le Québécois Patrick Robitaille, qui a travaillé au Soudan du Sud l'année dernière auprès de personnes déplacées, note que la faiblesse des institutions du pays, le manque d'éducation et la pauvreté de la population à l'issue d'années de guerre avec le Soudan au nord ont joué dans l'explosion de la violence.

Bien que les tensions ethniques soient vives, il faut garder en tête que la majorité des gens souhaitent la paix, relève-t-il. «Les Sud-Soudanais sont victimes de la guerre de quelques individus qui réussissent à faire flamber le pays», note M. Robitaille.

«Le chemin qu'un pays doit suivre pour devenir fort, libre et exempt de violence peut être long. Il faut être patient et ne pas baisser les bras», ajoute-t-il.

Ettie Higgins, de l'UNICEF, espère que la communauté internationale ne se détournera pas par dépit du Soudan du Sud alors que les besoins de la population civile sont plus criants que jamais.

«Il ne faut pas que le pays disparaisse du radar», plaide-t-elle en relevant que les semaines à venir représentent une «fenêtre ultime» pour sauver des milliers d'enfants menacés par la faim.