Les électeurs votaient en masse dimanche en Guinée pour désigner leur président, un scrutin sous tension dont l'opposition compte déjà contester les résultats, alors que le camp du sortant Alpha Condé le donne vainqueur dès le premier tour.

«Je demande à tous les Guinéens, quel que soit leur bord, de remplir leur devoir civique dans la paix et la tranquillité», a dit M. Condé, en allusion aux violences électorales qui ont fait une dizaine de morts cette semaine, après avoir voté peu après 10 h (6 h, heure de l'Est) à Conakry.

«Après l'épidémie d'Ebola, la Guinée a vraiment besoin de s'unir pour reprendre sa marche en avant», a ajouté le chef de l'État, qui impute à l'épidémie déclarée en décembre 2013 dans le pays le fléchissement de sa croissance.

Il a fait campagne sur son bilan: réforme de l'armée et de la justice, achèvement du barrage hydro-électrique de Kaléta pour pallier la pénurie criante d'électricité, transparence sur l'attribution aux sociétés minières des contrats d'exploitation des précieuses ressources du pays (bauxite, minerai de fer, or, diamant et pétrole...).

Ses adversaires - dont les anciens premiers ministres Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré et Lansana Kouyaté - accusent Alpha Condé de mauvaise gestion, notamment de la crise Ebola, d'exercice solitaire du pouvoir et d'attiser les tensions ethniques, particulièrement envers les Peuls, la communauté de M. Diallo.

L'enjeu principal porte sur l'éventuelle réélection de M. Condé au premier tour, comme le proclame sa campagne - cinq ans après une victoire à l'arraché au second tour sur le chef de l'opposition Cellou Dalein Diallo -, un objectif que ses concurrents jugent irréalisable sans fraude caractérisée.

Après avoir voté dans son quartier de Dixinn, en banlieue, M. Diallo a appelé à «faire en sorte que les suffrages des Guinéens soient respectés, qu'ils soient sécurisés, pour que le meilleur gagne», appelant lui aussi à éviter les violences.

Une de ses porte-parole a ensuite dénoncé dans une déclaration à la presse «des graves irrégularités», voire «des fraudes massives directement constatées sur le terrain», citant notamment l'expulsion de ses délégués de bureaux de vote dans l'est du pays, région d'origine de M. Condé.

Retards en chaîne mais pas de violence

Le chef de la Mission d'observation électorale de l'Union européenne, Frank Engel, a en revanche dressé un tableau favorable à la mi-journée, estimant, d'après ses informations, que le «vote se passe bien», malgré de nombreux retards, disant «comprendre un certain énervement» des électeurs après des heures d'attente.

«Ce que nous avons vu, observé, et ce qui nous a été signalé, pour moi n'entache pas la régularité du vote», a-t-il souligné, disant s'attendre à de premiers résultats mardi.

Le ministre de l'Intérieur, Mahmoud Cissé, s'est félicité qu'aucun incident n'ait été signalé à la mi-journée.

«Les conditions de sécurités sont réunies» et le vote se déroule «dans le calme et la sérénité», s'est-il félicité après une inspection dans le quartier de Bambéto, d'où partent souvent les manifestations de l'opposition.

Les six millions d'électeurs avaient initialement jusqu'à 18 h pour voter avant que la commission électorale nationale indépendante (CÉNI) n'autorise, dans un communiqué, les bureaux de vote à ouvrir jusqu'à 20 h si nécessaire.

Les deux précédents scrutins dans le pays, la présidentielle de 2010 et les législatives de 2013, ont été entachés par des violences et des accusations de fraude.

Les sept concurrents de M. Condé ont invoqué la non-distribution d'une proportion significative de cartes d'électeur et l'inscription présumée indue sur les listes électorales de nombreuses personnes, «notamment des mineurs», pour réclamer un report de l'élection.

Faute des corrections demandées, «les sept candidats ne reconnaîtront pas les résultats qui seront proclamés à l'issue du scrutin organisé avec ces anomalies et irrégularités», ont-ils affirmé vendredi dans une déclaration commune.

Près de 19 000 policiers, gendarmes et agents de la protection civile sont également sur le terrain pour sécuriser le scrutin.

«Généralement ce n'est pas le jour du vote qu'il y a des problèmes, c'est au moment où on proclame les résultats», met en garde le Dr Alpha Amadou Bano Barry, professeur de sociologie politique, estimant qu'un «deuxième tour en Guinée est toujours beaucoup plus conflictuel que le premier», en raison de l'exacerbation des rivalités ethniques.

Ancien opposant qui a connu la prison, Alpha Condé est le premier président démocratiquement élu de cette ex-colonie française d'Afrique de l'Ouest, dirigée jusqu'alors par des pouvoirs autoritaires ou dictatoriaux.