L'Algérie s'évertue à lutter contre le salafisme, considéré comme la matrice idéologique des djihadistes qui font craindre un retour aux années noires, mais peine à contrôler les mosquées où prospère cette pensée.

Plusieurs fois ces derniers mois, le ministre des Affaires religieuses, Mohamed Aïssa, a exprimé sa détermination à soustraire les mosquées à l'influence des imams salafistes.

«Il y a une offensive idéologique pour retirer les jeunes de leur couveuse religieuse et patriotique et les orienter vers une croyance hypothétique incarnée par Daech» (acronyme arabe du groupe État Islamique), estime M. Aïssa qui milite pour un «référent religieux national» inspiré «de l'islam de Cordoue».

Entourée par la Libye, où l'EI s'est implantée à la faveur du chaos, par la Tunisie, qui a vu en trois mois le groupe djihadiste revendiquer des attentats meurtriers, ou encore par le Mali, dont des zones entières échappent aux autorités, l'Algérie est soumise à de fortes pressions.

La crainte d'un retour aux années 1990 durant lesquelles des dizaines de milliers de personnes avaient péri dans les violences est bien présente. Mais l'armée, forte d'une expérience de plus de 25 ans, veille: elle a, en quelques semaines, décimé le groupe Jund al-Khilafa, qui avait déclaré son allégeance à l'EI et revendiqué la décapitation d'un touriste français en septembre 2014.

Lingerie et téléphonie mobile 

Quelque 50 000 fonctionnaires, dont 17 000 imams, dépendent du ministère des Affaires religieuses, selon leur syndicat, qui souhaite «immuniser les imams contre les pensées étrangères à l'Algérie, qu'elles soient salafistes ou autres», explique à l'AFP son président, Djelloul Hadjimi.

Mais dans de nombreuses mosquées, les fidèles sont encadrés par des volontaires qui ne dépendent pas du ministère. Ce sont ces derniers qui portent l'étendard du salafisme et dont il est difficile de se séparer, la tutelle n'ayant pas les moyens financiers de les remplacer, selon M. Hadjimi.

Entre les 22 000 mosquées en fonction et les 7000 en construction, il estime le déficit des imams à environ 7000.

Le gouvernement veut remplacer les salafistes par des imams formés dans ses propres instituts, «mais rien ne garantit que ceux-là aussi ne sont pas imprégnés de la pensée salafiste», nuance le syndicaliste.

Pour Saïd Djabelkheïr, un chercheur expert en soufisme, la pensée salafiste est «enracinée dans la société algérienne, semée depuis des décennies par des légions d'étudiants formés en Arabie saoudite».

Et les salafistes jouissent de soutiens à l'intérieur du régime qui les «utilisent» subtilement contre les militants de gauche, supposés hostiles à la religion, affirme-t-il.

Ils forment aussi une puissance économique et financière, ayant un quasi-monopole sur de nombreux secteurs comme la téléphonie mobile... ou la lingerie.

«Double langage»

Plusieurs figures salafistes sont très actives sur les réseaux sociaux ou sur les chaînes de télévision privées, qui font une large place aux émissions religieuses, animées par des prêcheurs radicaux émettant des fatwas hostiles à la ligne politique du gouvernement.

Ce dernier, qui peine à contenir leur verve incendiaire, les a récemment rappelés à l'ordre.

C'est sur une chaîne privée que le prédicateur Abdelfatah Hamadache a demandé au gouvernement de faire condamner à mort et d'exécuter l'écrivain-journaliste Kamal Daoud pour le crime d'apostasie.

Pour tenter de contrecarrer l'influence de ces «télés prêcheurs», Mohamed Aïssa, nommé il y a un peu plus d'un an, a décidé de créer une Académie de la fatwa de 50 imams formés par l'université égyptienne d'Al-Azhar, référence de l'islam sunnite.

Mais la difficulté réside aussi, selon Saïd Djabelkheïr, dans le «double langage» pratiqué par les salafistes algériens, modérés et tolérants en apparence, mais «extrémistes» quand ils s'adressent aux organisations clandestines.

Et le chercheur de rappeler que les grandes figures du salafisme ont soutenu le djihad dans les années 1990 en Algérie, avant de se rétracter quand les massacres de masse ont soulevé l'indignation internationale.