L'arrestation du chef des services de renseignement du Rwanda, Emmanuel Karenzi Karake, menée samedi à Londres sous le coup d'un mandat d'arrêt européen émis par l'Espagne, a suscité mardi une réaction outragée de Kigali.

Le général Emmanuel Karenzi Karake, âgé de 54 ans, «a été arrêté par des agents de l'unité de l'extradition de la police londonienne à l'aéroport de Heathrow samedi à environ 9 h 45», a indiqué mardi un porte-parole de Scotland Yard.

L'arrestation a été réalisée «en vertu d'un mandat d'arrêt européen émis par les autorités en Espagne, où il est recherché dans le cadre de crimes de guerre contre des civils», a-t-il précisé.

Une source judiciaire espagnole à Madrid a toutefois indiqué que le général Karenzi Karake n'était plus poursuivi pour crimes de guerre - des chefs d'inculpation qui ont été classés -, mais qu'il reste poursuivi pour des «crimes de terrorisme».

Le général rwandais a comparu devant un tribunal londonien dès samedi après-midi et a été placé en détention provisoire jusqu'à jeudi, date à laquelle il doit de nouveau comparaître devant la justice.

Personnalité clé du régime rwandais, Karenzi Karake, souvent surnommé «KK», est l'une des figures de l'ancienne rébellion à dominante tutsi du Front patriotique rwandais (FPR, aujourd'hui au pouvoir) de Paul Kagame.

Il fut aussi en 2008-2009 le numéro deux de la MINUAD, la mission de paix ONU-Union africaine déployée au Darfour dans l'ouest du Soudan.

Son arrestation a été qualifiée d'«inacceptable» par la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, mardi sur son compte Twitter.

Par ailleurs, le ministre de la Justice du Rwanda Busingye Johnston a annulé mardi une visite en Espagne, où il devait être reçu par son homologue espagnol Rafael Catala, a-t-on appris auprès des autorités espagnoles.

«Massacres»

La justice espagnole enquête depuis 2008 sur la disparition ou la mort de huit Espagnols au Rwanda, et notamment sur le décès en janvier 1997 de trois travailleurs humanitaires de Médecins du Monde.

Dans un acte d'accusation émis le 6 février 2008, le juge d'instruction espagnol Fernando Andreu demandait l'arrestation de quarante responsables rwandais, dont le «général de brigade Karenzi Karake en tant que chef des services secrets militaires de juillet 1994 à mars 1997».

Selon le juge d'instruction, des preuves existent d'opérations menées par les renseignements militaires visant à «éliminer systématiquement des personnes de l'ethnie des Hutu, intellectuels, dirigeants, opposants au FPR et aussi religieux et missionnaires considérés comme collaborateurs des Hutu».

Il attribue à ce général des «responsabilités directes dans les massacres commis par les renseignements militaires pendant cette période».

Selon l'acte, le général Karake aurait «eu connaissance et approuvé le massacre de civils entre 1994 et 1997 dans les villes de Ruhengeri, Gisenyi et Cyangugu, y compris la mort de trois travailleurs humanitaires espagnols».

Karake faisait partie du cercle très restreint des chefs militaires de haut rang du FPR, ancienne rébellion dirigée par Paul Kagame, qui a mis fin au génocide de 1994 et dirige le pays depuis lors d'une main de fer. Le génocide fut déclenché en avril 1994 par le régime extrémiste hutu et fit 800 000 morts, essentiellement dans la minorité tutsi.

Le FPR est accusé de crimes contre des civils au Rwanda durant son offensive victorieuse sur Kigali, puis dans les mois suivants, ainsi que dans les années qui ont suivi dans les camps de réfugiés rwandais de l'est de la République démocratique du Congo (RDC), que Kigali accusait d'héberger des «génocidaires», membres revanchards du régime hutu déchu.

Pour Kigali, ces accusations s'inscrivent dans la thèse révisionniste d'un «double génocide» qui accréditerait l'idée d'un génocide commis par le FPR contre les Hutu, ceci afin de minimiser le génocide des Tutsi.

«Pamphlet politique»

Un haut responsable du ministère rwandais des Affaires étrangères a rejeté le mandat d'arrêt. «C'est une horreur. Avec toutes les pires théories conspirationnistes», a-t-il déclaré mardi à l'AFP à Kigali.

La procédure judiciaire espagnole a également été critiquée par l'ambassade des États-Unis à Kigali, qui avait assimilé l'acte d'accusation à un «pamphlet politique» dans un télégramme diplomatique envoyé en 2008 et dévoilé par WikiLeaks.

«L'acte d'accusation espagnol envers 40 officiers militaires rwandais donne une version méconnaissable de certains des épisodes les plus douloureux et les plus violents de l'histoire du Rwanda», était-il estimé dans ce document diplomatique.

En 2007, Human Rights Watch avait demandé à l'ONU d'enquêter sur le rôle du général Karenzi Karake dans des massacres de civils, présumés commis par l'armée rwandaise en 2000 à Kisangani (nord-est de la RDC), où elle combattait les troupes ougandaises.

Ce n'est pas la première fois qu'une personnalité est arrêtée au Royaume-Uni à la suite d'un mandat émis par l'Espagne.

En 1998, le dictateur chilien Augusto Pinochet, inculpé par le juge espagnol Baltasar Garzon pour les crimes commis par sa junte militaire, avait été interpellé à Londres. Mais après plus d'un an d'imbroglio judiciaire, Londres avait renoncé à l'extrader, alléguant de sa santé fragile, et lui avait permis de rentrer au Chili.