Journalistes contraints de se «mettre à l'abri», craintes de représailles contre les manifestants opposés à Pierre Nkurunziza: le pouvoir burundais était accusé samedi de vouloir étouffer toute contestation après le putsch manqué, dont certains meneurs ont été entendus par le parquet.

Dix-sept putschistes ont été conduits samedi devant le parquet, dont trois meneurs arrêtés vendredi à l'aube: le numéro deux du mouvement le général Cyrille Ndayirukiye, et les commissaires Zénon Ndabaneze et Herménégilde Nimenya. Ils n'ont pas encore été inculpés mais sont «accusés de tentative de renversement des institutions», selon l'un de leurs avocats, Me Anatole Miburo.

Ces hommes ont été «sérieusement tabassés, particulièrement le général Cyrille Ndayirukiye», a ajouté l'avocat, affirmant que les services de renseignements ont forcé le général à enregistrer des aveux publics diffusés sur les ondes de la Radio et télévision nationale burundaise.

Par ailleurs, on est toujours sans nouvelles du chef des putschistes, le général Godefroid Niyombare.

Signe d'une situation toujours tendue à Bujumbura, des ONG européennes ont évacué leur personnel expatrié vers le Rwanda voisin samedi, selon un diplomate et des journalistes de l'AFP. Les États-Unis avaient conseillé la veille à leurs ressortissants de quitter le pays le plus rapidement possible.

Selon un défenseur burundais des médias, Innocent Muhozi, le patron de la très populaire radio privée RPA Bob Rugurika, visé par des menaces d'emprisonnement et même de mort en provenance du camp Nkurunziza, a «dû se mettre à l'abri à l'étranger momentanément».

La RPA, mais aussi Radio-Télé Renaissance que M. Muhozi dirige par ailleurs, et les deux autres principales radios privées Bonesha et Isangarino, qui avaient diffusé les messages des putschistes, ont été attaquées par les forces loyales au président Nkurunziza pendant la tentative de coup, parfois à la roquette et au point de ne plus pouvoir émettre.

 Liste de «journalistes à arrêter»

Selon M. Muhozi, le cas de M. Rugurika est extrême -- sa radio, la plus écoutée, est la plus menacée. Mais les patrons de Bonesha et Isangarino sont aussi allés «se planquer».

«Le pouvoir est en train de casser les radios», a poursuivi M. Muhozi, qui lui refuse de se cacher. «Il les a d'abord cassées physiquement (...) Maintenant ils veulent casser les journalistes, moralement, judiciairement», parlant d'une liste de «journalistes à arrêter».

Sollicitée par l'AFP, la présidence burundaise n'a pas réagi à ces accusations dans l'immédiat.

Accusés de soutenir l'opposition, les médias privés sont dans la ligne de mire du pouvoir.

Leurs relations avec le gouvernement s'étaient encore sérieusement détériorées depuis le début de manifestations d'opposition à un très controversé troisième mandat du président Nkurunziza -- le chef de l'État a été désigné par son parti le Cndd-FDD comme son candidat à la présidentielle du 26 juin -- et se sont encore dégradées avec la tentative avortée de coup d'État lancée mercredi par le général Godefroid Niyombare.

La protestation populaire anti-troisième mandat, émaillée depuis son début le 26 avril de heurts parfois violents entre manifestants et policiers ou jeunes du parti au pouvoir (les Imbonerakure) qui ont fait une vingtaine de morts, a été interdite par le gouvernement.

Signe de sa volonté de briser le mouvement, Pierre Nkurunziza, officiellement rentré à Bujumbura mais qui n'est toujours pas apparu en public depuis l'annonce de l'échec du putsch, a lié ces manifestations à la tentative de coup d'État, dans un discours publié sur le site de la présidence.

«On a tous peur»

Le mouvement contre sa candidature à la présidentielle, jugé inconstitutionnelle par ses opposants, avait été présenté par Godefroid Niyombare, ex-compagnon d'armes du président pendant la guerre civile (1993-2006) burundaise, comme une justification du putsch: il avait accusé Nkurunziza, déjà élu en 2005 et 2010, de se représenter «au mépris» du peuple.

Dans les quartiers périphériques de Bujumbura foyers de la contestation populaire récente, les manifestants réfutaient tout «lien» avec les putschistes, mais craignaient de faire les frais de leur débâcle.

«Nous et le coup d'État, ça n'a aucun rapport», a lancé Martin, comptable de 34 ans, à Nyakabiga (est).

Le jeune homme est convaincu que les manifestations, interrompues pendant la tentative de putsch, reprendront de plus belle lundi. Mais pour l'heure, dans le quartier, quelques dizaines de manifestants seulement tentaient difficilement de mobiliser une population encore timorée.

«On a tous peur, depuis qu'ils ont détruit nos radios, on ne sait pas ce qu'il se passe, on craint qu'ils ne viennent pendant la nuit et qu'ils nous tuent», a renchéri Ghislaine, jeune maman, évoquant à demi-mot les Imbonerakure, accusés de campagnes d'intimidation contre les opposants au président et qualifiés de «milice» par l'ONU.

Le centre de Bujumbura était très animé contrairement aux dernières semaines: les habitants profitaient de la fin des combats entre putschistes et loyalistes et de la levée des barricades dans les quartiers périphériques pour s'approvisionner en nourriture, retirer de l'argent ou alimenter leurs comptes prépayés pour l'eau et l'électricité.

«Dans ce pays, ce n'est pas la première fois qu'(une crise) arrive», explique Alexandre, cadre bancaire de 56 ans. «Les gens sont habitués à faire des stocks».

L'histoire post-coloniale du petit pays d'Afrique des Grands Lacs est jalonnée de massacres. Terrorisés par le climat pré-électoral - des législatives et communales ont aussi lieu le 26 mai - plus de 100 000 Burundais, selon l'ONU, ont récemment fui dans les pays voisins.