En Afrique du Sud, la «Mosquée ouverte» navigue à contre-courant depuis son ouverture, en septembre 2014. Son fondateur, Taj Hargey, secoue le monde musulman avec sa pensée progressiste et son intention d'y accueillir notamment les femmes et les gais et lesbiennes. La Presse est allée à la rencontre de cet imam et de ses fidèles.

«Aujourd'hui, dans mon sermon, j'ai expliqué que l'islam ne permet pas de tuer ceux qui vous insultent. J'ai apporté toutes les preuves théologiques qui démontrent que le blasphème n'existe pas dans le Coran, que c'est quelque chose d'inventé par le clergé», a confié à La Presse l'imam sud-africain Taj Hargey, dans la foulée de l'attentat contre Charlie Hebdo en France.

Dans un ancien atelier de réparation d'autos transformé en mosquée, dans le quartier Wynberg, au Cap, ils sont une cinquantaine à faire leurs incantations à Allah. Façade dépouillée vert lime, pas de minaret, intérieur sobre avec une moquette foncée, des inscriptions coraniques au mur, la mosquée est modeste, mais attire une attention planétaire depuis son ouverture, le 19 septembre dernier.

Dans son sermon en anglais et en arabe, l'imam Taj Hargey dénonce les attentats de Paris, exprime comment la communauté musulmane capetonienne est horrifiée par les actes de terrorisme. «Si vous n'aimez pas ce que les gens disent, quittez la conversation avec dignité. Le Coran nous invite à faire preuve de patience et de tolérance, c'est la base de notre religion...», affirme Taj Hargey, qui a joint sa voix à celle du conseil musulman de l'Afrique du Sud et qualifié les terroristes de Paris de «fanatiques religieux déments».

Seule mosquée au monde à avoir comme devise «bienvenue à tous et à toutes», l'Open Mosque suscite la controverse. Mais le nombre de fidèles qui s'y rendent chaque vendredi va en progressant, assure Taj Hargey.

Attaques

«En trois mois d'existence, nous avons été attaqués à trois reprises, la dernière attaque [dans la nuit de l'Aïd al-Adha, fête qui marque la fin du ramadan] a été la pire, mais depuis six semaines, nous avons la paix. Cela dit, moi, je ne vais nulle part et mon objectif est que la mosquée survive une année. Le pire, ce n'est pas l'attaque physique, mais d'être condamné comme hérétique, ce qui très difficile dans la société musulmane sud-africaine», explique Taj Hargey, qui prend un café avec les fidèles autour d'une table, après son service hebdomadaire.

«Produit de l'apartheid»

Natif du Cap, naturalisé Britannique et directeur du Muslim Educational Centre of Oxford (qui prône un islam «progressiste»), Taj Hargey explique que s'il a voulu créer une mosquée inclusive, «où l'on ne se mêle pas de savoir si vous couchez avec un homme et une femme», c'est parce qu'il se décrit comme un «produit de l'apartheid».

«La première fois que j'ai adressé la parole à un Blanc sud-africain, c'était dans une auberge de jeunesse de Munich! Pourquoi, dans notre propre pays, nous ne nous étions jamais parlé? Parce qu'on ne fréquentait pas les mêmes quartiers, les mêmes piscines, les mêmes plages...», évoque Taj Hargey. Du même souffle, il affirme qu'il n'est pas là pour convertir qui que ce soit et déplore «l'arabisation» de l'islam en Afrique du Sud.

«Jadis, en Afrique du Sud, on ne voyait pas de «femmes ninjas» avec des masques faciaux comme il y en a partout au Cap, ces jours-ci. Cela vient de l'Arabie saoudite, qui injecte beaucoup d'argent pour promouvoir cette vision particulière de l'islam. Mais le Coran n'exige pas des femmes de porter le "masque"», s'emporte Taj Hargey.

«Le problème avec le fanatisme religieux, de nos jours, c'est que l'on tire sur quelqu'un aussitôt qu'il n'est pas d'accord avec nous!», poursuit Taj Hargey, qui, malgré les menaces de mort, poursuit sa lutte pour un «islam éclairé».

Place aux femmes

Le jour de notre visite à l'Open Mosque, les femmes se faisaient quand même très rares. Pourquoi?

«Depuis septembre, le mot s'est passé que les femmes avaient le droit d'entrer à l'Open Mosque et plusieurs ont reçu des menaces de leur famille», explique Hajirah Mahomed, une professionnelle capetonienne dans la cinquantaine, venue cette journée-là prier avec ses deux fils et son mari.

Très critique des restrictions imposées aux femmes musulmanes, et ce, depuis son enfance, Hajirah Mahomed confie ne porter le voile qu'à certaines occasions, surtout pour «ne pas heurter [ses] parents, et non par peur d'un Dieu tout-puissant».

«Je hais ce truc. Je suis en pleine ménopause, c'est insupportable avec les bouffées de chaleur!», lâche Mme Mahomed, qui, subitement, retire son hijab pour révéler sa chevelure brun foncé. «Dans les autres mosquées, les femmes doivent être invisibles. Pourtant, les enseignements du Coran demandent que nous nous rendions à la mosquée tous les vendredis. Nous sommes ici dans le territoire de Dieu: personne ici n'a le droit de juger.»