La vague de solidarité provoquée par les attentats de Paris, qui ont fait 17 morts, a été mondiale. Mais elle a occulté le fait qu'au même moment, des raids au Nigeria faisaient des centaines, probablement même des milliers de victimes. Sur les réseaux sociaux, le slogan «Je suis Nigeria», calqué sur «Je suis Charlie», a fait son apparition. Boko Haram, le groupe derrière les attaques, est lui entraîné dans une spirale de violence que personne ne semble pouvoir arrêter.

De nouveaux sommets d'horreur

Ils enlèvent des jeunes filles dans des écoles, font exploser des bombes dans des stations d'autobus, débarquent dans les villages pour tuer, piller et violer. Les guerriers de Boko Haram se font de plus en plus violents, mais leurs motivations et leur fonctionnement demeurent largement nébuleux. Voici huit choses à savoir sur cette organisation terroriste.

Des frappes nombreuses

Formé en 2002, Boko Haram prend les armes en 2009 afin de créer un État régi par la loi islamique dans le nord-est du Nigeria. Depuis, le site Global Terrorism lui a attribué pas moins de 808 attaques, soit en moyenne une tous les deux jours et demi. Le groupe frappe autant les marchés publics et les installations militaires que les entreprises et les propriétés privées, mais ses cibles de prédilection sont les écoles, les églises et les postes de police. Boko Haram a fait au moins 13 000 victimes depuis le début de son insurrection.

De plus en plus violent

Boko Haram a entamé l'année 2015 avec deux coups d'éclat qui montrent que ses méthodes deviennent de plus en plus radicales. Au début de janvier, pas moins de 16 localités situées sur les berges du lac Tchad ont été rasées et pillées. Le gouvernement a fait état de 150 morts, les organisations locales, de 2000 victimes.

John Campbell, ancien ambassadeur des États-Unis au Nigeria aujourd'hui rattaché au Council of Foreign Relations, juge le chiffre de 2000 «beaucoup plus crédible». Dans tous les cas, il s'agit de l'attaque la plus meurtrière et la plus destructrice de toute l'histoire de Boko Haram.

Trois jours plus tard, un autre attentat horrifiait le monde, cette fois par sa méthode. Une fillette de 10 ans s'est fait exploser dans un marché bondé de Maiduguri, la capitale de l'État de Borno, faisant au moins 16 morts.

Le printemps dernier, Boko Haram avait aussi choqué la planète en kidnappant 200 adolescentes dans un lycée.

Religion, politique et appât du gain

Que cherche Boko Haram en déstabilisant le nord-est du Nigeria? Dans ses vidéos de propagande, son chef, Abubakar Shekau, affirme vouloir instaurer un califat régi par la loi islamique dans les régions qu'il contrôle. Boko Haram signifie «l'éducation occidentale est un péché».

«Il y a un mélange de politique et de religieux», dit toutefois John Campbell, du Council of Foreign Relations, qui rappelle que le nord du Nigeria est largement opposé au gouvernement central du président Goodluck Jonathan.

L'expert décrit Boko Haram comme une organisation diffuse, formée de multiples factions qui ne poursuivent pas toutes les mêmes objectifs. Impossible de savoir combien de combattants le groupe compte exactement. Mais selon Robert Rotberg, associé au Centre for International Governance Innovation (CIGI), ils ne sont pas plus de 10 000.

«À mon avis, le pillage et l'accaparement de biens matériels semblent être devenus leurs motifs principaux», dit-il.

Ce n'est pas une branche d'Al-Qaïda

Les connexions entre Boko Haram et Al-Qaïda sont souvent évoquées dans les médias. Mais selon les experts, ces liens, s'ils existent, sont ténus et influencent peu le fonctionnement de l'organisation.

«Je crois que c'est une erreur de considérer Boko Haram comme faisant partie d'un réseau de terrorisme international», dit John Campbell, qui rappelle qu'Al-Qaïda a déjà reproché à Boko Haram d'être trop «assoiffé de sang».

Selon lui, les moyens financiers du groupe proviennent surtout du pillage des banques et des rançons obtenues à la suite d'enlèvements.

Région coupée du monde

L'attaque du début de janvier a révélé à quel point la vaste région contrôlée par Boko Haram est coupée du monde. La confusion sur le nombre de victimes perdure parce qu'aucun journaliste ni aucune organisation humanitaire ne peuvent se rendre sur les lieux.

«Toute la région, aujourd'hui, est pratiquement inaccessible parce que trop dangereuse», dit Mausi Segun, chercheuse de Human Rights Watch au Nigeria. Pour contribuer à l'isolement, Boko Haram fait régulièrement exploser les tours de téléphonie cellulaire.

L'équipe de Mme Segun planifie néanmoins une expédition dans le Nord-Est prochainement.

«C'est extrêmement dangereux, il faut beaucoup, beaucoup de planification», explique-t-elle.

Réfugiés

Selon l'Agence des Nations unies pour les réfugiés, la seule attaque du début de janvier a poussé 7300 Nigérians à fuir au Tchad voisin. Mausi Segun, de Human Rights Watch, affirme que ces réfugiés quittent le pays au péril de leur vie.

«Boko Haram empêche maintenant les gens de quitter les zones qu'il contrôle, dit-elle. Même au Tchad, au Niger et au Cameroun, ils traquent les réfugiés.»

Dans l'État de Borno, le bastion de Boko Haram, la seule ville relativement sécuritaire est maintenant la capitale, Maiduguri. La ville d'un peu plus de un million d'habitants croule sous le poids des gens des villages et des villes environnants qui y ont trouvé refuge. On en compte officiellement 300 000, mais ils sont probablement beaucoup plus nombreux.

En chiffres :

850 000 déplacés à l'intérieur du Nigeria

90 000 réfugiés au Niger

35 000 réfugiés au Cameroun

10 000 réfugiés au Tchad

Source: Agence des Nations unies pour les réfugiés

Élections perturbées

Difficile d'aller voter quand on est terré chez soi ou qu'on a fui son village. Dans ce contexte, l'élection présidentielle prévue pour le 14 février au Nigeria, première économie et pays le plus peuplé d'Afrique, s'annonce problématique.

De l'avis général, le président actuel, Goodluck Jonathan, néglige le nord du pays, où il compte peu de soutiens. Son opposant, l'ancien dictateur Muhammadu Buhari, a déjà prévu qu'il contestera les résultats d'élections si les habitants des régions islamiques du Nord ne peuvent voter. Bref, l'imbroglio semble inévitable.

Selon l'expert John Campbell, il ne faut en tout cas pas compter sur cette élection pour régler le problème de Boko Haram.

«Si Jonathan perd l'élection, il risque d'y avoir une explosion dans le delta du Niger [au sud], où il a beaucoup de soutiens. S'il gagne, l'aliénation du Nord s'accentuera», dit-il. Dans tous les cas, Boko Haram profitera de l'instabilité.

Jeudi, le président Jonathan a effectué une visite-surprise à Maiduguri, au centre du fief de Boko Haram, pour la première fois en près de deux ans. Il était escorté d'environ 200 soldats.

Perte d'appuis

En s'opposant au gouvernement central de Goodluck Jonathan, largement impopulaire dans le Nord-Est, Boko Haram a longtemps bénéficié d'un certain appui parmi une population pauvre, frustrée et aliénée.

«Mais en devenant de plus en plus violent et en tuant tout le monde au hasard, Boko Haram a graduellement perdu le coeur des gens», dit Mausi Segun.

Le problème, explique-t-elle, c'est que l'armée, qui dit combattre Boko Haram, est de son côté corrompue et multiplie aussi les exactions contre les civils. Coincés entre l'arbre et l'écorce, nombre de citoyens ont monté des groupes d'autodéfense. Mais cette opposition a poussé Boko Haram à augmenter son niveau de violence, et certains groupes se sont eux aussi mis à faire la loi à leur façon.

«La population, elle, est complètement laissée à elle-même», résume Mme Segun.

Qui arrêtera Boko Haram?

C'est sans doute la question la plus troublante de la tragédie signée Boko Haram: pourquoi, après plus de cinq ans de carnage, personne ne parvient-il à arrêter le groupe?

La réponse est complexe. L'armée du Nigeria, qui compte près de 100 000 hommes, clame qu'elle fait la guerre aux terroristes. Mais sur le terrain, la violence, loin de ralentir, s'accélère. Pourquoi?

«Pour faire une réponse courte, l'armée nigériane se sauve au lieu de combattre, répond Robert Rotberg, associé au Centre for International Governance Innovation (CIGI). Et elle se sauve parce que le gouvernement fédéral, à commencer par le président Goodluck Jonathan, ne fait preuve d'aucun leadership sur cette question.»

L'expert fait état de rapports selon lesquels les officiers de l'armée volent les munitions et la nourriture, laissant leurs soldats sans défense. Mal équipés, souvent non payés, ceux-ci désertent massivement.

Opposition peu motivée

Le président Goodluck Jonathan semble très peu motivé à régler le problème. Il ne compte pratiquement aucun soutien dans le nord du Nigeria, là où Boko Haram sévit, et brandit les problèmes de sécurité pour discréditer les politiciens de la région auprès de son électorat.

À la suite du kidnapping de 200 adolescentes dans une école par Boko Haram en avril dernier, les États-Unis ont envoyé des drones de surveillance et 30 experts du renseignement au Nigeria afin d'aider l'armée à retrouver les jeunes filles. La France, l'Angleterre, Israël et le Canada ont aussi fourni une aide logistique.

Mais pas une seule adolescente n'a été retrouvée. En décembre, le gouvernement du Nigeria a mis fin unilatéralement à un programme d'entraînement de soldats nigérians par les États-Unis. Puis, Washington a refusé de vendre des hélicoptères au Nigeria, et une guerre de mots a éclaté entre les deux pays, Washington reprochant à l'armée nigériane ses violations répétées des droits de la personne - un bilan d'ailleurs bien documenté par Human Rights Watch.

Après l'enlèvement des jeunes filles, le Canada a aussi déployé une «équipe d'évaluation» au Nigeria qui a «mené à bien sa mission», a expliqué le ministère des Affaires étrangères par courriel. Ottawa affirme avoir fourni depuis un «transport aérien stratégique» pour continuer les recherches et avoir envoyé des experts pour former les forces policières locales.

Il reste que Boko Haram semble pour l'instant faire face à une opposition peu motivée et peu efficace. La communauté internationale pourrait-elle faire plus?

«Comment voulez-vous qu'elle le fasse si le gouvernement nigérian refuse?», demande John Campbell, du Council of Foreign Relations.

Ameto Akpe, une journaliste d'enquête nigériane qui s'est beaucoup penchée sur la corruption au sein du gouvernement, croit que celui-ci n'intensifiera pas ses efforts contre Boko Haram tant que la population ne lui mettra pas de pression. Et elle déplore le «manque d'empathie» des gens du sud pour les problèmes du nord du Nigeria.

«Ce qui est en jeu n'est pas l'inaptitude du gouvernement, mais son manque de motivation politique, dit-elle. Et si les gens eux-mêmes n'exigent pas d'imputabilité et de résultats de la part de leurs dirigeants, Boko Haram restera et sera utilisé par la classe politique de façon à servir ses propres intérêts.»

PHOTO ARCHIVES AFP/BOKO HARAM

Le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau