«Vous rentrerez bientôt chez vous», a promis jeudi le président nigérian Goodluck Jonathan aux déplacés de Baga à Maiduguri, fief historique du groupe islamiste Boko Haram accusé par les États-Unis de «crimes contre l'humanité».

M. Jonathan, en pleine campagne électorale, s'est rendu jeudi dans le nord-est du Nigeria pour la première fois depuis près de deux ans. Le président sortant, candidat à sa réélection le 14 février, est très critiqué pour n'avoir pas su juguler l'insurrection islamiste qui a étendu son emprise territoriale au cours des derniers mois.

Sa venue intervient dans le sillage de l'attaque de la ville de Baga, dans le nord de l'État de Borno, sur les rives du lac Tchad, début janvier, sans doute la plus meurtrière jamais commise par Boko Haram depuis six ans.

Le président nigérian est arrivé à Maiduguri, la capitale de l'État de Borno, peu avant 15h00 (locales, 9h00 heure de Montréal) pour une visite de trois heures organisée dans le plus grand secret. Il était notamment accompagné par le chef d'état-major des armées, Alex Badeh, et escorté par quelque 200 soldats, selon un reporter de l'AFP sur place.

«Je veux vous assurer que vous rentrerez bientôt chez vous», a déclaré le chef de l'État qui est allé à la rencontre de déplacés dans un camp de réfugiés. Quelque 5000 survivants de l'offensive contre Baga et ses alentours y sont actuellement aidés, selon Médecins sans frontières (MSF).

«Tous les territoires sous contrôle de Boko Haram seront bientôt repris», a également assuré M. Jonathan à cette occasion.

Le massacre de Baga a été qualifié jeudi de «crime contre l'humanité» par le Secrétaire d'État américain John Kerry.

Des centaines de personnes «voire plus» ont péri à Baga et dans ses alentours, selon Amnesty International. L'ampleur de l'offensive a été documentée par de saisissante photos satellites fournies par des ONG.

Ces images vues du ciel des villes de Baga et Doron Baga (nord-est) prises avant et après l'attaque lancée le 3 janvier par Boko Haram montrent l'étendue des destructions dans les deux villes.

«Les meurtres délibérés de civils et la destruction de leurs biens par Boko Haram constituent des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité et appellent une enquête en conséquence», estime l'organisation de défense des droits de l'Homme.

Attaque «destructrice»

L'armée nigériane, qui a tendance à minimiser les bilans de victimes, a affirmé cette semaine que 150 personnes avaient été tuées, qualifiant de «sensationnalistes» les estimations évoquant 2000 morts.

Human Rights Watch estime de son côté impossible de donner un bilan précis pour l'instant, citant un habitant en fuite qui dit que «personne n'est resté sur place pour compter les morts».

Au total, 16 localités ont été brûlées et 20 000 personnes ont dû fuir la région, ont indiqué des responsables locaux.

À lui seul, le Tchad voisin a accueilli 11 320 réfugiés nigérians en quelques jours, selon le Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies.

Pour Amnesty, cette attaque est «la plus grande et la plus destructrice» jamais perpétrée par le groupe armé depuis le début de son insurrection en 2009, qui depuis a fait plus de 13 000 morts et 1,5 million de déplacés.

Boko Haram contrôle désormais la quasi-totalité de la région nigériane frontalière du Niger, Tchad et Cameroun.

Preuve de l'inquiétude croissante des pays voisins, le Cameroun, qui subit les attaques de Boko Haram, a annoncé jeudi soir que le Tchad allait envoyer des troupes sur son sol pour combattre les islamistes.

Une femme tuée en accouchant

Au fil des récits des survivants, de nouveaux détails émergent sur les atrocités des islamistes.

Un témoin cité par Amnesty, sous couvert d'anonymat, décrit une femme enceinte abattue en plein accouchement, en même temps que plusieurs jeunes enfants.

«La moitié du bébé (était) sortie et elle est morte dans cette position», raconte le témoin.

«Ils ont tué tellement de gens. J'ai peut-être vu 100 personnes tuées à un moment à Baga. J'ai couru dans la brousse. Pendant que nous courions, ils mitraillaient et tuaient», décrit un quinquagénaire non identifié.

Une autre femme confirme: «Il y avait des cadavres partout où je regardais».

Ces témoignages corroborent les propos de responsables locaux, selon qui le nombre de victimes est extrêmement élevé, ainsi que de témoins contactés par l'AFP qui décrivaient des rues parsemées de cadavres en décomposition.

Un homme échappé de Baga après être resté caché trois jours avait ainsi déclaré avoir «marché sur des cadavres» sur cinq kilomètres, dans sa fuite à travers la brousse.

L'ampleur de ces massacres est due à l'incapacité de l'armée nigériane de contenir les attaques des islamistes.

Jeudi, Goodluck Jonathan a assuré aux militaires présents à Maiduguri que «le gouvernement continuera à leur fournir les équipements les plus récents pour de meilleurs résultats».

L'attaque de Baga est survenue à un peu plus d'un mois des élections présidentielles et législatives prévues le 14 février, alors que le duel entre le président sortant Goodluck Jonathan et l'ancien dictateur militaire Muhammadu Buhari s'annonce serré. La flambée de violence dans le nord-est pourrait perturber la tenue du scrutin.