Dans le nord de l'Ouganda, un mal d'origine inconnue frappe des milliers d'enfants: le syndrome du hochement de tête. Le photojournaliste Frédéric Noy raconte, en images et en mots, le drame de ces enfants et de leurs familles.

Il y a 25 ans, 2,5 millions d'Ougandais de l'ethnie Acholi ont été regroupés dans des camps pour échapper à l'Armée de résistance du Seigneur (LRA) de Joseph Kony, qui enlevait des milliers d'enfants pour en faire des soldats, des esclaves sexuels ou des porteurs.

Pour les Acholis, c'est l'enfer sur terre: dans ces camps, plus de 1000 personnes meurent en moyenne chaque semaine. Depuis plus de deux décennies, ils attendent la fin de la guerre civile.

Après avoir chassé la LRA de l'Ouganda, le gouvernement a poussé les déplacés à rentrer chez eux dès 2008, en démontant les camps. Ces sinistrés doivent repartir à zéro. Car au fil des ans, villages, champs et bétail ont disparu.

Comme si leur sort n'était pas assez pénible, les sinistrés découvrent que plusieurs enfants sont atteints du syndrome du hochement de tête. Le mal, qui sévit dans certains pays africains, affecte tout particulièrement le nord de l'Ouganda, la région où se trouvent les Acholis.

Les jeunes âgés de 5 à 15 ans sont susceptibles de développer cette maladie, pour laquelle on ne connaît aucun remède. Aucune des personnes atteintes n'a franchi le cap des 30 ans.

Identifié pour la première fois en 1963 en Tanzanie voisine, le syndrome plonge ses victimes, lors de crises dites « épileptiques », dans un état léthargique. Elles dodelinent alors de la tête, perdent contact avec ce qui les entoure, ne contrôlent plus leurs mouvements et errent, hagardes.

Avec le temps, un retard mental apparaît. À 12 ans, un enfant paraît cinq ans plus jeune. Se laver, se nourrir, s'habiller, être scolarisé devient impossible. Les parents, contraints de surveiller leur enfant, ne travaillent plus, ne cultivent plus et ne peuvent plus nourrir leur famille. Étrangement, les crises se déclenchent à la vue de la nourriture, entraînant la malnutrition, car personne ne parvient à nourrir le malade. Le froid semble aussi être un déclencheur.

Au bout du mal, la mort. Par accident, malnutrition ou amnésie. En effet, à cause d'une crise, un enfant peut tomber dans le feu sur lequel sa mère fait cuire le repas, se noyer dans un puits, se perdre en brousse ou refuser de s'alimenter. Pour les protéger, leurs proches les attachent souvent à un arbre ou à un poteau.

Des milliers de cas

En Ouganda, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) ont détecté 3381 cas suspects dans 579 villages, qui se trouvent tous en pays acholi. Mais en général, les statistiques se font rares au sujet de ce syndrome mystérieux, mal documenté.

Ni les CDC ni l'Organisation mondiale de la Santé ne sont parvenus à déterminer l'origine du mal. Les CDC ont écarté près de 40 causes possibles et classent le syndrome parmi les six maladies dont ils ignorent la cause. On étudie, par-dessus tout, un lien potentiel avec le parasite à la source de la maladie de la cécité de la rivière au Soudan du Sud.

Aucune des théories n'apaise le désarroi des Acholis. Pour beaucoup, l'explication est limpide: les milliers de morts de la guerre n'ont pas été enterrés suivant la tradition. Leurs âmes reviennent donc hanter les vivants.

PHOTO FRÉDÉRIC NOY, COSMOS

Scovia Lakot, 17 ans, a été, en 2001, une des premières personnes atteintes du syndrome du hochement de tête dans la communauté de Tumango. Incapable de marcher ou de se tenir assise, elle reste en boule pour faire ses besoins. Elle ne parle pas, comprend très peu, mais répond à son nom. Elle passe ses journées allongée dans la case.

PHOTO FRÉDÉRIC NOY, COSMOS

Des religieux musulmans dans une mosquée de Kitgum affirment qu'ils peuvent soigner le syndrome du hochement de tête grâce à de l'eau «spéciale» et à des prières dites à haute voix dans l'oreille du patient. Un jeune imam pulvérise l'eau miraculeuse sur une patiente. Selon eux, un démon est à l'origine du syndrome.