Même si Robert Mugabe n'a pas l'intention de céder le pouvoir qu'il détient depuis 35 ans au Zimbabwe, c'est le sujet de sa succession qui sera au coeur du congrès de son parti, qui s'amorce aujourd'hui. Or, ceux qui attendaient patiemment que le président nonagénaire passe l'arme à gauche risquent d'être déçus par l'apparition récente d'une candidate surprise: sa femme. Qui a 40 ans de moins.

Les couteaux volent bas depuis quelques semaines à Harare, la capitale zimbabwéenne. La vice-présidente Joice Mujuru, longtemps perçue comme le dauphin de Robert Mugabe, ne serait plus dans les bonnes grâces du président depuis que la femme de ce dernier, Grace, prend du galon au sein du parti, le ZANU-PF (Front patriotique de l'Union nationale africaine du Zimbabwe).

Mme Mujuru a été accusée de tous les maux dans les dernières semaines, notamment par Mme Mugabe elle-même: incompétence, corruption et même complot en vue d'assassiner Robert Mugabe pour s'accaparer le pouvoir. Elle devrait d'ailleurs être écartée du puissant comité central du parti, dont le congrès se tient d'aujourd'hui à dimanche.

«Il y aurait eu des amendements aux statuts du ZANU-PF récemment pour centraliser le pouvoir dans les mains du premier secrétaire du parti, soit Robert Mugabe», qui contrôlera désormais exclusivement ce comité central dont la taille sera d'ailleurs réduite, explique Piers Pigou, directeur des projets pour le sud de l'Afrique à l'International Crisis Group.

Utile à la femme du président

Cette concentration du pouvoir entre les mains d'un dictateur qui en détient déjà beaucoup servira particulièrement sa femme, qui «pourrait devenir la personne la plus influente autour de lui au fur et à mesure qu'il vieillit, estime Piers Pigou. Et c'est elle qui pourrait finalement jouer le rôle le plus important pour déterminer qui lui succédera, qu'elle ait ou pas des ambitions personnelles en ce sens».

Grace Mugabe devrait d'ailleurs voir entérinée cette semaine sa désignation au poste important de présidente de la ligue des femmes du ZANU-PF, bien que «sans surprise, le parti n'a pas divulgué les détails du congrès», explique Piers Pigou.

Purge interne

La disgrâce de Joice Mujuru est peut-être la plus visible, mais elle n'est pas la seule. «Il y a un nombre significatif de hauts dirigeants du parti qui sont touchés», affirme Piers Pigou, qui parle d'arrestations ou de campagnes de dénigrement dans les médias d'État «sans que des preuves soient apportées».

Or, ce qui s'apparente à une purge interne visant à couper l'herbe sous le pied à d'éventuels successeurs servirait peut-être davantage l'élite en place que Robert Mugabe lui-même, croit Piers Pigou. «Avec l'écroulement de l'économie, le gâteau à partager est moins gros et il y a une véritable compétition pour les postes clés», analyse-t-il.

Piers Pigou rappelle qu'il y a «une école de pensée qui dit que Mugabe, après qu'il a perdu les élections, en 2008, était prêt à abandonner, mais des hauts dirigeants du parti l'auraient convaincu de se battre pour se maintenir au pouvoir».

«Robert Mugabe fait partie de la dernière génération de leaders africains qui considèrent que le pouvoir doit être personnel, qu'avoir libéré le pays donne droit de rester au pouvoir jusqu'au bout», estime Patrick Dramé, professeur agrégé à l'Université de Sherbrooke et spécialiste de l'Afrique.

Que le président zimbabwéen manoeuvre pour garder la mainmise sur le pouvoir, en y plaçant sa femme, par exemple, ne présage rien de bon en vue des prochaines élections, en 2018, selon le professeur Dramé. «Ça vient jeter de l'huile sur le feu. [...] À mon avis, on risque d'aller vers les mêmes violences postélectorales [qu'en 2008].»