À des milliers de kilomètres de la Côte d'Ivoire, l'ex-président Laurent Gbagbo, depuis sa cellule de la Cour pénale internationale de La Haye, cherche à reprendre la direction de son parti, scénario ubuesque qui ravit le pouvoir avant la présidentielle de 2015.

Sur le bitume défoncé et brûlant d'Abidjan, une multitude de journaux retenus par des pierres regorgent d'anciennes photos officielles de Gbagbo en une, et de sa «lettre de candidature» signée à La Haye le 25 novembre dernier.

«J'accepte d'être candidat» à la présidence du Front populaire ivoirien (FPI), écrit M. Gbagbo, 69 ans, dans un courrier certifié par un notaire.

«La Côte d'Ivoire a toujours eu besoin d'un FPI fort, rassemblé et uni», poursuit-il, concédant que, «dans les circonstances actuelles», il ne peut «prétendre gérer le parti» comme «dans le passé».

L'ex-dirigeant a été l'artisan de sa propre chute, avec son refus de reconnaître sa défaite face à Allassane Ouattara à la présidentielle de 2010, ouvrant une grave crise qui fait plus de 3000 morts.

Alors que son procès pour «crimes contre l'humanité» doit s'ouvrir en juillet 2015, M. Gbagbo feint d'ignorer la grave crise que traverse le FPI, née de sa volonté de reprendre la main sur ce parti, devenu la principale formation de l'opposition ivoirienne.

Selon un politologue ivoirien, Jean Alabro, il «s'agit d'une première dans l'histoire politique du pays», la «vraie question étant comment Gbagbo, détenu à La Haye, va diriger le FPI».

Ancien proche collaborateur du président déchu, Pascal Affi N'Guessan, 61 ans, dirige actuellement le FPI. Il a été le chef de gouvernement de M. Gbagbo de 2000 à 2002, avant de lui succéder à la tête du parti.

Le comité du FPI a validé la semaine dernière les candidatures des deux hommes à la présidence du parti, qui doit se prononcer le 15 décembre, accentuant la division entre deux camps antagonistes.

L'échéance présidentielle en Côte d'Ivoire, cruciale pour la stabilité de ce pays secoué par une décennie de crise jusqu'à la chute de M. Gbagbo, est fixée à octobre 2015.

«Crise de confiance»

Le parti traverse «une crise de confiance entre le maître et son mentor», estime un cadre du FPI proche de M. Gbagbo, Alphonse Douati, en dénonçant la «gouvernance solitaire» du chef de la formation.

Les pro-Gbagbo font de la libération de l'ancien président «le coeur de la stratégie de lutte du parti», entretenant l'illusion que le FPI peut peser sur son sort devant la justice internationale.

Sa candidature est également ressentie comme une tentative de barrer la route à toute normalisation de la vie politique en Côte d'Ivoire.

Au Rassemblement des républicains (RDR), le parti au pouvoir, un porte-parole, Joël N'Guessan, estime que M. Gbagbo «n'aime pas son parti, il n'aime pas son pays. Il veut tout pour lui seul, pour cela il est prêt à barrer la route à toute personne. Tout ce qui l'intéresse, c'est sa personne et rien d'autre. Mais qu'il soit candidat ou pas, les Ivoiriens vont se réconcilier».

Les pro-Affi N'Guessan aspirent à s'investir pleinement pour la présidentielle de 2015 derrière leur candidat.

Et cette guerre de tranchées risque de fragiliser encore le FPI, qui a boycotté les législatives de 2011 et les municipales de 2013, ouvrant un boulevard au chef de l'État actuel, Alassane Ouattara, candidat déclaré à sa succession.

En outre, le président Ouattara, qui jouit du soutien de la communauté internationale, possède un atout de taille depuis le ralliement en septembre dernier de l'ex-chef de l'État, Henri Konan Bédié.

Pour le porte-parole du RDR, la guerre interne au FPI démontre que ce «n'est pas un parti démocratique». «Plus ils sont divisés, mieux on se porte. Leur division est du pain bénit pour nous», se réjouit-il.

Même si le poids réel du FPI sur l'échiquier politique est désormais en question après son boycottage des deux derniers scrutins, la popularité de M. Gbagbo reste importante au sein de l'aile dure de son parti.

Pour le moment, les deux camps rivaux ont promis de tempérer leurs ardeurs, pour éviter une implosion du parti.

L'ex-première dame transférée à Abidjan

L'ex-première dame ivoirienne, Simone Gbagbo détenue depuis 2011 dans le nord de la Côte d'Ivoire, a quitté lundi sa «résidence surveillée» pour Abidjan, a-t-on appris de sources concordantes.

Annoncé pour le 22 octobre, le procès de Mme Gbagbo et de 82 dignitaires de l'ancien régime, accusés par la justice ivoirienne d'«atteinte à la sureté de l'État», liée à la crise postélectorale meurtrière de 2010-2011, avait été reporté sine die.

Simone Gbagbo, 65 ans, a «quitté Odienné (610 km au nord-ouest d'Abidjan) vers 10 h (heure locale, 5 h à Montréal) pour le petit aéroport de la ville, d'où a décollé son avion à destination d'Abidjan», ont indiqué à l'AFP un habitant joint au téléphone, Adama Koné, et une source sécuritaire.

«Habillée d'une robe bleue, les cheveux nattés, elle paraissait quelque peu amaigrie et affichait un air jovial en taquinant le petit monde autour d'elle», a ajouté la source sécuritaire.

L'avocat de Mme Gbagbo, Me Rodrigue Dadjé, contacté par l'AFP, a indiqué «n'avoir reçu aucune information de la justice ivoirienne sur son transfert».

La Cour pénale internationale (CPI) accuse également Mme Gbagbo de «crimes contre l'humanité» commis durant la crise postélectorale.

Le pouvoir ivoirien refuse de transférer Simone Gbagbo, surnommée la «Dame de fer» vers La Haye, estimant être en mesure de lui organiser un procès équitable en Côte d'Ivoire.

Son mari, Laurent Gbagbo est emprisonné depuis plus de trois ans à La Haye en attente de son procès pour «crimes contre l'humanité», qui doit s'ouvrir en juillet 2015 devant la CPI.

PHOTO REBECCA BLACKWELL, ARCHIVES AP

Simone Gbagbo à Abidjan, en janvier 2011.