Au moins 120 personnes ont été tuées et 270 blessées vendredi dans un attentat à la grande mosquée de Kano, dirigée par l'un des plus hauts dignitaires musulmans du Nigeria, qui avait appelé à prendre les armes contre Boko Haram.

Un double attentat-suicide, suivi de tirs d'hommes armés: l'attaque d'une extrême violence commise dans la principale ville du nord du pays a visé la mosquée en pleine prière du vendredi.

Il y a d'abord eu deux attentats commis par des kamikazes devant la grande mosquée, a déclaré à l'AFP le porte-parole de la police nigériane, Emmanuel Ojukwu. Puis «des hommes armés ont ouvert le feu sur ceux qui tentaient de fuir».

La mosquée est accolée au palais de l'émir de Kano, Mohammed Sanusi II, le deuxième responsable musulman le plus important du Nigeria.

On ignorait pour l'instant où se trouvait l'émir au moment des explosions.

Sur une quinzaine d'hommes armés, quatre ont été tués par la foule en colère et les autres ont réussi à s'enfuir, a précisé la police.

Au moins 120 morts, 270 blessés: c'est le bilan, encore provisoire, donné par les secours.

Les équipes de secours tentaient vendredi soir de se rendre dans tous les hôpitaux de la zone, a indiqué un responsable s'exprimant sous couvert d'anonymat.

De son côté, un journaliste de l'AFP a compté au moins 92 corps à la morgue d'un seul hôpital de Kano.

Le journaliste a compté les corps à l'hôpital Murtala Mohammed, où des centaines de personnes tentaient d'identifier les leurs à l'aide de téléphones portables et de lampes torches.

Les victimes ont été emmenées dans au moins trois autres hôpitaux de la ville.

Une personnalité très influente 

C'est dans la grande mosquée de Kano que l'émir avait appelé la semaine dernière la population du nord du pays à prendre les armes contre les islamistes de Boko Haram.

Il avait fustigé l'incapacité de l'armée à défendre les civils face aux insurgés, qui commettent presque chaque jour des attaques dans leur fief du Nord-Est, mais aussi au-delà, et recourent notamment à des femmes kamikazes.

Il est exceptionnel que des dignitaires religieux prennent publiquement position sur les questions politiques et militaires, mais de nombreux Nigérians s'attendaient à ce que Sanusi Lamido Sanusi -- son nom à la ville -- défie les conventions et s'implique dans le débat.

L'émir de Kano est une personnalité très influente au Nigeria, qui compte plus de 80 millions de musulmans (dont la majorité vit dans le Nord), sur une population totale de 170 millions d'habitants.

Officiellement, il est seulement devancé par le sultan de Sokoto, considéré comme le chef des musulmans nigérians, qui a lui aussi lancé lundi des critiques cinglantes contre l'armée.

Avant d'être nommé émir en juin, M. Sanusi a occupé le poste de gouverneur de la Banque centrale nigériane.

Il avait été démis de ses fonctions en février par le président Goodluck Jonathan peu après avoir dénoncé le détournement de 20 milliards de dollars de fonds publics par la compagnie pétrolière nationale.

Kano, la plus grande ville du nord du Nigeria avec 10 millions d'habitants, a souvent été le théâtre d'attaques de Boko Haram, dont la plus spectaculaire avait fait au moins 185 morts en janvier 2012.

Le 14 novembre, un attentat-suicide avait fait au moins six morts, dont trois policiers, à Kano.

L'ancien émir de Kano, Ado Abdullahi Bayero, avait survécu à des tentatives d'assassinat du groupe islamiste, tout comme le sultan de Sokoto et le shehu de Borno, un autre chef musulman important.

Boko Haram accuse les dignitaires musulmans nigérians de trahir la religion en se soumettant à l'autorité du gouvernement nigérian.

Le nouvel attentat de Kano intervient au moment où des milices locales ont réussi à déjouer une nouvelle attaque à Maiduguri, la capitale de l'État de Borno (nord-est) et ancien fief de l'insurrection.

Des explosifs, découverts dans le quartier de Gamboru Market peu avant les prières du vendredi, ont pu être désamorcés par la police, selon Babakura Adam, un membre de la milice.

Un explosif a quand même explosé dans le même secteur sans faire de victime.

«Bien sûr il s'agit du travail de Boko Haram, parce que ces derniers jours, des femmes kamikazes ont été arrêtées dans la ville», a affirmé M. Adam.

Maiduguri a été touchée mardi par un double attentat-suicide qui a fait au moins 45 morts, le premier en cinq mois dans cette ville.

Les violences de Boko Haram et leur répression par les forces de sécurité ont fait 13 000 morts et 1,5 million de déplacés depuis 2009.

Une cinquantaine de morts et 3000 déplacés

L'attaque lundi par Boko Haram de la ville de Damasak, une ville du nord-est du Nigeria frontalière du Niger, a fait une cinquantaine de morts et a provoqué la fuite de 3000 habitants au Niger, a déclaré vendredi le Haut Commissariat de l'ONU pour les réfugiés.

L'attaque «a tué jusqu'à cinquante personnes et en a forcé au moins 3000 à fuir pour sauver leur vie dans la région de Diffa, au Niger voisin», a indiqué à la presse Adrian Edwards, porte-parole du HCR.

«Notre équipe à Diffa indique que des gens continuent à arriver du Nigeria. La plupart attendent des bateaux pour traverser la rivière Komadougou Yobe qui sépare les deux pays, mais certains essayent de passer à la nage et les habitants locaux ont fait état de noyades», a-t-il ajouté.

Boko Haram a pourchassé et tué des habitants jusque sur les rives de la rivière, ont raconté les habitants cités. Ils ont dit que «beaucoup de civils ont été tués dans l'attaque de Damasak, en particulier des jeunes, mais les insurgés ont aussi tiré sur les femmes et les enfants»,  a précisé le porte-parole.

Selon certaines informations, l'attaque aurait été menée en représailles au fait que les jeunes de la ville rejoignaient les groupes d'autodéfense pour combattre les insurgés nigérians, a indiqué M. Edwards. L'attaque a été soudaine et les gens ont fui en abandonnant tout.

«De nombreux enfants ont été séparés de leurs parents durant l'attaque et la fuite vers le Niger», selon le HCR, certains essayant de retrouver de la famille dans la ville la plus proche, Chetimari.

Un raid similaire des djihadistes le weekend dernier a fait 48 morts dans la ville nigériane voisine de Doron Baga.

Plus de 100 000 Nigérians ont fui au Niger depuis mai 2013 suite à ces attaques selon le HCR qui estime que 30 000 sont partis au cours des deux derniers mois.

Quelque 39 000 autres ont également fui au Cameroun et 2800 au Tchad, les structures économiques déjà fragiles de la région risquant maintenant de ne plus pouvoir fonctionner, selon le HCR.

Le groupe islamiste s'est emparé depuis le printemps 2014 d'une vingtaine de villes dans les trois États de Borno, d'Adamawa et de Yobe, et affirme avoir instauré un «califat islamique» dans les zones sous son contrôle.

Plus de 13 000 personnes ont été tuées depuis le début de l'insurrection de Boko Haram en 2009, et près de 1,5 million d'habitants ont été déplacés par les violences.

Flambée de violences islamistes depuis avril

Le Nigeria est le théâtre depuis la mi-avril d'une flambée de violences impliquant des islamistes armés, avec des enlèvements sans précédent et des attaques spectaculaires.

Plus de 13 000 personnes ont été tuées depuis le début de l'insurrection du groupe islamiste Boko Haram en 2009, et près de 1,5 million d'habitants déplacés.

Les violences en 2014 : 

- 14 avr.: 276 lycéennes sont enlevées par des hommes armés à Chibok (État de Borno, nord-est). Le chef de Boko Haram revendique le rapt des lycéennes, qu'il veut «vendre» comme «esclaves» et «marier» de force. 57 jeunes filles réussissent à s'enfuir, mais 219 sont toujours portées disparues.

- 14 avr.: Au moins 75 morts dans un attentat, revendiqué par Boko Haram, dans la gare de bus de Nyanya, en périphérie d'Abuja. En mai et juin, deux nouvelles attaques font une quarantaine de morts dans la capitale fédérale.

La plupart des attaques étaient jusqu'ici concentrées sur le Nord-Est, fief historique du groupe.

- 5 mai: Au moins 300 morts dans l'attaque de la ville de Gamboru Ngala, dans l'Etat de Borno (sources locales). Toute la ville est détruite.

- 20 mai: Deux attentats à la voiture piégée sur un marché de Jos (centre), revendiqués par Boko Haram: au moins 118 morts.

- 3 juin: Des hommes lourdement armés détruisent quatre villages dans l'État de Borno: entre 400 et 500 morts (chefs locaux).

- 29 juin: Des assaillants à moto lancent des bombes dans les églises de quatre villages autour de Chibok: plus de 50 morts.

- 23 juill.: Au moins 42 morts à Kaduna (nord) dans deux attentats visant un dignitaire musulman très critique envers Boko Haram et un ancien chef de l'État, qui en sortent indemnes.

- 24 août: Le chef de Boko Haram place sous le règne du «califat islamique» la ville de Gwoza (Borno), prise début août par son groupe. Le 13 juillet, il avait proclamé son soutien à l'État islamique qui contrôle une partie de la Syrie et de l'Irak.

- 18 oct.: Environ 60 femmes et jeunes filles sont enlevées autour de Chibok (témoignages). Le 25-26, une trentaine d'adolescents sont enlevés à Mafa (Borno).

- 31 oct.: Le chef de Boko Haram annonce que les 219 lycéennes enlevées à Chibok ont toutes été converties à l'islam et mariées. Il exclut toute négociation avec le gouvernement en vue d'un cessez-le-feu. Les autorités avaient annoncé mi-octobre avoir conclu un cessez-le-feu avec Boko Haram, mais les violences n'ont pas cessé depuis.

- 9 nov.: Le chef de Boko Haram réaffirme avoir créé un «califat» dans les zones du Nord-Est conquises par les insurgés. Son groupe s'est emparé de plus d'une vingtaine de localités dans les États de Borno, d'Adamawa et de Yobe.

- 10 nov.: Un attentat attribué à Boko Haram commis par un kamikaze déguisé en étudiant frappe un collège pour garçons à Potiskum (Yobe): 58 morts.

- 20 nov.: 48 marchands de poissons sont égorgés ou noyés par le groupe islamiste à Doron Baga, en bordure du lac Tchad (nord-est).

- 25 nov.: Plus de 45 morts dans un double attentat, commis par deux femmes kamikazes, qui frappe un marché populaire de Maiduguri, capitale de l'État de Borno.

- 28 nov.: Au moins 120 morts et 270 blessés dans un triple attentat qui frappe la Grande Mosquée de Kano (nord), au moment de la prière hebdomadaire.

Selon le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés, l'attaque le 24 par Boko Haram de Damasak (nord-est) a fait une cinquantaine de morts.