Des centaines de militaires réclamant de l'avancement et de meilleures soldes ont manifesté mardi dans plusieurs villes de Côte d'Ivoire, un signe de la fragilité persistante de l'armée ivoirienne trois ans après la fin de la longue crise politico-militaire qui embrasa le pays, selon des observateurs.

La vague de protestation est partie de Bouaké, deuxième ville de Côte d'Ivoire, puis s'est étendue à Abidjan, la capitale économique, Ferkéssédougou et Khorogo, deux villes du nord, ainsi que Bondoukou et Abengourou, dans l'est.

Le ministre de la Défense Paul Koffi Koffi est intervenu dans la journée à la télévision pour répondre aux militaires mécontents, annonçant une série de mesures et leur demandant «de regagner leurs postes». Son allocution est passée en boucle toute l'après-midi à la télévision publique.

Cette vague de protestations inquiète à moins d'un an du scrutin présidentiel d'octobre 2015. Fausses rumeurs et appels inquiets se multipliaient mardi après-midi au sein de la population ivoirienne.

«On est toujours dans le syndrome d'une révolte possible, après dix ans de crise», a observé une source sécuritaire, dénonçant la «complotite» sévissant en Côte d'Ivoire.

Les autorités ivoiriennes se félicitaient régulièrement de la diminution de la violence dans le pays, nécessaire au retour des investisseurs étrangers qui portent la reprise économique, gage selon elles d'un enracinement de la paix sociale.

À Bouaké (centre, à 350 km au nord d'Abidjan), plusieurs dizaines de soldats ont bloqué la ville mardi matin, dressant des barricades sur les principaux axes de la ville et provoquant d'importants bouchons, a constaté un journaliste de l'AFP.

Des dizaines de militaires, non armés, dont certains avaient le visage cagoulé ou recouvert de peintures blanches, se sont disséminés aux quatre coins de la ville.

Lors de la décennie de crise politico-militaire de 2002 à 2011 qui fit des milliers de morts et pendant laquelle la Côte d'Ivoire fut coupée en deux, Bouaké fut la capitale de la rébellion qui contrôlait le nord du pays. Cette rébellion était favorable à l'actuel président Alassane Ouattara.

Le sud du pays était tenu par les forces loyales à l'ancien chef de l'État Laurent Gbagbo, actuellement détenu à La Haye par la Cour pénale internationale qui l'accuse de crimes contre l'humanité.

Colère

Selon plusieurs sources sécuritaires, d'anciens éléments rebelles, intégrés en 2009 dans les forces de sécurité nationales à la suite de l'accord de paix de Ouagadougou, signé en 2007, sont à l'origine du mouvement de contestation de ce mardi, qui s'est ensuite étendu au reste du pays.

Le mécontentement des militaires couvait depuis longtemps, notamment du fait de la méfiance entre les anciens rebelles pro-Ouattara et les militaires de carrière, qui voient d'un mauvais oeil leurs nouveaux compagnons d'armes, qualifiés d'indisciplinés et d'incompétents.

L'«amalgame» n'a pas pris, estime un bon connaisseur du dossier, qui plaide pour une réforme de la politique de défense ivoirienne.

À Abidjan, principale ville ivoirienne qui compte 5 millions d'habitants, plusieurs dizaines de sapeurs-pompiers et de militaires ont entravé dans l'après-midi le trafic aux abords du Plateau, le quartier administratif et d'affaires, a constaté un photographe de l'AFP. Ils ont depuis lors libéré les lieux.

«La colère a gagné partout dans les casernes, notamment le camp d'Akouédo», le plus important de la ville, a expliqué à l'AFP un officier sous couvert d'anonymat.

Des militaires se sont aussi regroupés à Ferkéssédougou et Khorogo, où les points de contrôle d'entrée et de sortie étaient encore fermés en début de soirée, ont rapporté des témoins.

«Je suis bloqué à Ferkéssédougou. Les FRCI (armée) sont partout sous le regard impuissant de la police et de la gendarmerie», s'était plaint un voyageur vers midi (heure locale et 7h00, heure de Montréal).

Dans les villes de Bondoukou et d'Abengourou, des soldats ont affirmé à l'AFP avoir tiré en l'air pour appuyer leurs revendications.

«Nous voulons notre argent, le rappel de trois ans d'arriérés de primes», a déclaré à l'AFP un soldat de Bondoukou, où les drapeaux ont été mis en berne.

Pour tenter de calmer les soldats mécontents, le ministre de la Défense a annoncé à la télévision cinq mesures, dont le paiement d'indemnité de logement, d'arriérés de solde et de frais de déplacement, et une meilleure couverture de frais de santé.

Peu satisfaits par cette annonce, des soldats en colère ont investi pendant quelques heures l'antenne de la Radio télévision ivoirienne (RTI) de Bouaké, avant de s'en aller.

«Ils sont venus prendre la station régionale de la RTI de Bouaké. Comme ils n'étaient pas d'accord avec ce qu'a dit leur ministre de tutelle, ils voulaient lui répondre», a expliqué un journaliste de la RTI, sous couvert d'anonymat.

La station de Bouaké n'étant pas en mesure d'émettre en direct, les militaires ont fait enregistrer un message, qu'ils exigent de voir diffuser, sans toutefois mentionner la nature d'éventuelles représailles, selon ce journaliste.