L'armée nigériane est sous le feu des critiques, incapable de stopper les insurgés islamistes de Boko Haram dans le nord-est du pays, malgré son écrasante supériorité en hommes.

«Je vous promets qu'on va en finir dans pas longtemps», avait déclaré le nouveau chef d'état-major, le général Alex Badeh, lorsqu'il avait été nommé en janvier.

Huit mois plus tard, le bilan est catastrophique: progressant de manière fulgurante, Boko Haram contrôle des pans entiers de territoires du nord-est du Nigeria, et menace de prendre Maiduguri, la capitale régionale, déjà à moitié encerclée. Une situation qui rappelle celle de l'État islamique en Irak, un mouvement «frère» selon le chef des islamistes nigérians Abubakar Shekau, qui veut lui aussi établir un «califat».

En face, l'armée nigériane fait piètre figure, avec des soldats qui refusent d'aller au combat, ou qui fuient devant les attaques insurgées. Les hommes se plaignent aussi de n'être pas nourris correctement et du non-paiement de leur solde.

La situation semble si grave que l'allié américain a tapé du poing sur la table.

«La réputation de l'armée nigériane est en jeu», a déclaré jeudi à Abuja la secrétaire d'État adjointe pour l'Afrique, Linda Thomas-Greenfield.

«L'avenir du Nigeria et de ses enfants est en danger», «il n'y a pas le droit à l'erreur», a-t-elle martelé.

«Une honte»

Face aux critiques américaines, le porte-parole de l'armée nigériane, Chris Olukolade, a délaissé les habituels messages triomphalistes et reconnu que la «souveraineté» du pays était «remise en question». Il a promis que l'armée allait «tout faire pour renverser la situation».

Le pays le plus peuplé d'Afrique, première économie du continent, dispose pourtant d'une armée puissante... sur le papier.

Le Nigeria compte 80 000 militaires et 82 000 paramilitaires, selon le rapport 2014 de l'Institut international d'études stratégiques (IISS).

Le budget de la Défense s'élève cette année à 968 milliards de nairas (4,5 milliards d'euros), soit 20 % du budget de l'État, la proportion la plus élevée depuis la guerre civile de 1967-70 au Biafra.

En face, Boko Haram dispose de 6000 à 8000 combattants, selon l'estimation du chercheur Marc-Antoine Pérouse de Montclos. Le groupe se finance essentiellement par des attaques de banques, des pillages et des rançons, mais vole aussi beaucoup d'armes et d'équipements à l'armée en attaquant ses casernes.

De plus, l'armée nigériane dispose d'une aviation de combat, dont Boko Haram est dépourvue.

Comment les insurgés ont-ils pris l'avantage, malgré un tel déséquilibre, se demandent la classe politique et la population du Nigeria?

«L'armée actuelle n'est plus celle qu'on a connue, c'est une honte», déplore un ancien officier qui avait participé au premier coup d'État militaire en 1966.

Selon l'ancien général Ahmed Saleh, devenu avocat, le niveau de l'armée a commencé à baisser après un coup d'État manqué contre le président Ibrahim Babangida en 1990.

Le général Babangida - à la tête d'une junte de 1985 à 1993 - a fait une purge, se débarrassant d'officiers supérieurs expérimentés et plaçant l'armée sous son contrôle direct à Abuja, entraînant un «déclin», selon M. Saleh.

Démoralisation 

Ce dernier a aussi dénoncé dans la presse nigériane les pénuries d'armes et de munitions dont souffrent les troupes engagées contre Boko Haram. «Nous devons reconstruire les forces armées, voilà la réalité».

D'après l'IISS, la majeure partie des équipements militaires «ne sont pas en état d'être déployés sur des périodes prolongées».

Les analystes pointent aussi la corruption et la mauvaise qualité du management pour expliquer l'approvisionnement défaillant.

Pour l'expert de la société de sécurité Red 24, Rian Cumming, le refus récent d'aller au combat de soldats de la 7e division d'infanterie - dite «anti-Boko Haram - est révélateur. Cela montre «à quel point l'armée sous-estime le problème de l'insurrection».

Virginia Comolli, une analyste de l'IISS, se dit peu surprise de la démoralisation des soldats.

Les insurgés, mieux équipés, ont gagné en confiance et commencé à combattre comme une armée conventionnelle plutôt que comme une guérilla, «intimidant (et apparemment) écrasant les militaires», estime-t-elle.

Autre problème: l'armée s'est coupée de la population, et donc d'une source cruciale de renseignements sur le terrain, en multipliant les exactions (exécutions extrajudiciaires, détentions arbitraires, torture).

Pour Ryan Cummings, le Nigeria, seul, est dépassé et doit être appuyé par les pays voisins pour empêcher le conflit de s'étendre, aussi bien dans le Nord-Est qu'au-delà des frontières nigérianes.