Les insurgés islamistes de Boko Haram, qui infligent défaite sur défaite à l'armée, se rapprochent de leur objectif de créer un califat dans le nord du Nigeria, mais la situation n'est pas la même qu'en Irak et ils n'ont pas partie gagnée, estiment des experts.

Depuis avril, Boko Haram s'est emparé de nombreuses localités et contrôle des zones entières du nord-est du pays d'où l'armée a disparu, selon les témoignages d'habitants, des responsables de la sécurité et des experts.

Établir une cartographie précise des zones contrôlées par les islamistes est cependant impossible, faute d'informations fiables.

Depuis mai 2013, les trois États du nord-est les plus touchés par le conflit sont placés sous état d'urgence, l'armée censure les informations, les communications sont perturbées et les déplacements périlleux dans ces contrées isolées aux confins du Niger, du Tchad et du Cameroun.

Seule certitude, le conflit est dévastateur, surtout pour les civils: plus de 10 000 morts depuis le début de l'insurrection en 2009, dont 4000 rien que cette année, et 650 000 personnes déplacées.

Les Nations unies ont confirmé la prise par les rebelles, début août, des villes de Damboa et Gwoza, dans l'État de Borno. L'armée a affirmé avoir repris Damboa depuis, mais cela n'a pas été confirmé.

Jeudi, une nouvelle ville est tombée: Buni Yadi, dans l'État voisin de Yobe.

L'évolution de la tactique de guérilla vers la conquête de territoires est une «évolution importante» et cette stratégie devrait se poursuivre, estime Ryan Cummings, analyste de la société de sécurité Red 24, basée en Afrique du Sud.

Boko Haram, «lentement mais sûrement, est en train de réussir son premier objectif, la création d'un califat régi par la charia (loi islamique) dans le nord-est du Nigeria», dit-il.

Un avis partagé par Virginia Comolli, chercheuse à l'Institut international d'études stratégiques de Londres, selon laquelle Boko Haram «contrôle» entièrement le nord de l'État de Borno, ce que de nombreux témoignages d'habitants corroborent.

«Ils cherchent à étendre leur territoire et ils ont vraiment la possibilité d'atteindre leur objectif», estime-t-elle.

Similitudes avec l'État islamique 

Dans une vidéo diffusée en juillet, le chef de Boko Haram Aboubakar Shekau a apporté son soutien à Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l'État islamique en Irak et en Syrie, qui a revendiqué l'assassinat cette semaine du journaliste américain James Foley.

Selon Jacob Zenn, chercheur à la fondation américaine Jamestown, il y a des similitudes entre Boko Haram et l'État islamique, notamment la brutalité extrême des actions.

Boko Haram a massacré des milliers de civils, y compris des élèves dans des écoles, et kidnappé plus de 200 étudiantes en avril.

Mais alors que l'État islamique est décrit par Washington comme extrêmement bien armé, organisé et financé, les rangs du groupe nigérian sont formés par des jeunes pauvres et sans éducation ni formation tactique.

Les experts estiment qu'il a noué des liens avec des groupes djihadistes, comme Al Qaïda au Maghreb islamique, mais leur niveau de coopération reste mal connu.

Boko Haram «n'a pas atteint le niveau de sophistication» de l'État islamique, estime Virginia Comolli, mais ce qu'a dit Shekau montre que le groupe «s'intéresse à ce qui se passe» dans d'autres régions.

Faiblesses de l'armée 

Alors que Boko Haram s'est considérablement renforcé, s'équipant d'armements puissants et recrutant de nouveaux combattants, les faiblesses de l'armée nigériane sont apparues.

«Nos soldats sont capables de battre les terroristes de Boko Haram, mais ils ont désespérément besoin d'armes», affirme une source sécuritaire à Maiduguri, la capitale de l'État de Borno.

L'offensive de l'armée lancée à partir de mai 2013 avait permis de repousser les islamistes hors des agglomérations et de les chasser de leurs bastions.

«Boko Haram aurait pu être écrasé si nous avions pu poursuivre notre offensive», dit encore cette source.

L'armement insuffisant des militaires est un facteur clé de leurs défaites récentes. Des soldats se sont même mutinés cette semaine à Maiduguri, exigeant des armes plus performantes.

Premier producteur de pétrole et plus puissante économie d'Afrique, le Nigeria ne manque pourtant pas de ressources financières: le budget de la défense s'élève à 6 milliards de dollars par an.

La corruption et la désorganisation sont davantage en cause que le manque de moyens pour expliquer le sous-équipement chronique des militaires, selon les experts.