Les enquêteurs s'activaient jeudi entre les débris de verre et les carcasses de voitures sur le site de l'attentat à la bombe qui a fait 21 morts en plein coeur de la capitale du Nigeria, Abuja, posant une nouvelle fois la question de l'incapacité des autorités à lutter contre les islamistes armés de Boko Haram.

Des dizaines de soldats et de policiers surveillaient la zone jeudi, et la principale route menant au centre commercial avait été bouclée, les commerçants ne pouvant accéder à leurs boutiques, a constaté un journaliste de l'AFP.

La bombe a explosé mercredi peu avant 16 h (11 h à Montréal) près d'une des entrées du centre commercial Emab Plaza, situé dans un quartier très animé en plein centre d'Abuja, non loin du siège du gouvernement, faisant aussi 17 blessés, parmi lesquels de nombreux chauffeurs de taxi stationnés à cet endroit et des marchands ambulants.

Ce troisième attentat en trois mois dans la capitale nigériane, qui a cette fois frappé le centre-ville, où se trouvent les ministères, les bâtiments administratifs, les grands hôtels et les sièges d'entreprises étrangères, pourtant sous haute surveillance depuis l'attentat contre le siège des Nations unies en août 2011, sème un vent de panique parmi les commerçants et vient confirmer les craintes des responsables de la sécurité des grandes sociétés étrangères sur place.

Pour Nnamdi Obasi, spécialiste du Nigeria pour l'International Crisis Group, cet attentat, survenu «dans une artère très populaire», «une des plus fréquentées de ce quartier plutôt bourgeois» de la capitale nigériane, «envoie un message très fort : que tous les quartiers de la ville sont vulnérables».

Le Centre national d'information a confirmé, dans un communiqué, l'arrestation d'un premier suspect et l'exécution d'un second suspect par des soldats alors qu'il tentait de prendre la fuite à moto.

L'explosion a été si forte qu'elle a fait voler en éclats les vitres des fenêtres des immeubles de l'autre côté de la rue.

Osaretin Odafe, un marchand qui a été témoin de la scène, s'est dit trop choqué pour garder son emploi dans ce quartier.

«J'avais commencé à travailler ce mois-ci, mais avec ce que j'ai vu hier, je ne veux plus travailler. J'ai vu des corps démembrés», a-t-il raconté à l'AFP.

Éviter les endroits fréquentés

Cette attaque dans le centre-ville n'est «pas une surprise» pour le responsable de la sécurité d'une société étrangère à Abuja, qui a souhaité rester anonyme.

«Il y avait des signes avant-coureurs : des armes et des explosifs ont été interceptés à plusieurs reprises, on sentait qu'ils (les insurgés) testaient le terrain», a-t-il précisé.

«Maintenant, on se dit qu'ils sont dans Abuja, avec, sans doute, tout l'attirail logistique nécessaire pour mener de nouvelles attaques», estime-t-il.

«On déconseille à nos expatriés de sortir sauf pour aller travailler. On va leur demander de réduire leurs déplacements au maximum, et d'éviter les endroits très fréquentés, d'autant plus avec la Coupe du Monde et le Ramadan qui va commencer», a-t-il ajouté.

L'attentat n'a pas été revendiqué pour l'instant, mais le groupe islamiste armé Boko Haram, qui a suscité l'indignation de la communauté internationale en enlevant plus de 200 lycéennes mi-avril, est fortement suspecté. Il avait perpétré deux attentats très meurtriers dans la capitale en avril et mai à la gare routière de Nyanya, située dans un quartier populaire, à 15 jours d'intervalle.

Boko Haram multiplie par ailleurs les attaques qui deviennent quasi-quotidiennes dans le nord-est du Nigeria, sa zone d'action historique. Malgré une offensive lancée depuis un an et l'instauration de l'état d'urgence dans trois États, les forces de sécurité y paraissent incapables de réduire l'insurrection islamiste, qui a fait plus de 2000 morts depuis le début de l'année.

Après les attentats de Nyanya, les autorités nigérianes avaient promis de renforcer leur dispositif de sécurité dans les quartiers de la capitale considérés comme vulnérables.

Pour Ryan Cummings, expert en sécurité basé en Afrique du Sud pour la société Red 24, s'il est confirmé que ce nouvel attentat a été perpétré par Boko Haram, cela démontrerait que le groupe islamiste a la capacité de passer outre les contrôles de sécurité pour s'en prendre «même aux endroits les mieux gardés».

L'attentat du centre commercial d'Abuja risque aussi de soulever des inquiétudes quant à de nouvelles attaques «dans des villes comme Lagos, jusqu'ici épargnée par les violences» ajoute-t-il.

Une explosion mineure, survenue dans le port de Lagos mercredi soir, a d'ailleurs suscité des réactions hystériques sur les réseaux sociaux, où l'on parlait déjà d'une attaque terroriste, alors qu'il s'agissait de l'incendie accidentel d'une citerne de gaz.

Pour Andrew Noakes, coordinateur d'un réseau d'experts sur la sécurité au Nigeria, Boko Haram «veut faire passer le message qu'aucun endroit n'est à l'abri» au Nigeria, mais ce message ne doit pas être pris à la lettre.

«Abuja n'est pas si loin de certains endroits du nord où Boko Haram a mené des opérations d'envergure ces dernières années, et un attentat à la bombe ne nécessite ni une logistique sophistiquée ni une infiltration importante de la population locale», estime-t-il.