Massacres, disparitions, viols collectifs: les frères ennemis qui s'entredéchirent depuis des mois au Soudan du Sud ont commis d'innombrables «crimes contre l'humanité» qui font craindre une escalade, dénoncent les Nations unies. Les chefs des belligérants se sont retrouvés hier à Addis Abeba, en Éthiopie, et se sont engagés à «cesser les hostilités» dans un ultime effort pour ramener la paix au sein de cette nation toute jeune.

Quand le Soudan du Sud a accédé à l'indépendance, il y a trois ans, tous les espoirs semblaient permis. Le monde célébrait la naissance de cette nation africaine, enfin libérée de l'emprise des maîtres de Khartoum, de la corruption, des querelles religieuses et, surtout, d'une interminable guerre civile.

Mais le rêve a tourné au cauchemar. Le Soudan du Sud est devenu un champ de bataille, où la lutte de pouvoir entre deux hommes forts s'est muée en conflit ethnique sanglant. Et où l'on n'hésite plus à agiter le spectre d'un autre Rwanda.

Depuis le début du conflit qui déchire le pays, en décembre, les camps rivaux du président Salva Kiir et de son ancien bras droit, Riek Machar, ont commis des «crimes contre l'humanité», incluant des massacres, des disparitions forcées, des détentions arbitraires et des viols collectifs, dénonce la mission des Nations unies au Soudan du Sud (MINUSS), dans un rapport publié jeudi.

Ces atrocités ont été perpétrées d'un bout à l'autre du pays, et par les deux camps, selon la MINUSS. «Les civils n'ont pas seulement été pris dans les violences, ils ont été délibérément visés, sur des critères ethniques», lit-on dans le rapport.

Le 15 avril, les rebelles de l'ethnie Nuer, menés par l'ancien vice-président Machar, se sont emparés de Bentiu, capitale de l'État pétrolifère d'Unité. Au passage, ils ont massacré des centaines de civils, à la mosquée, à l'hôpital, dans les rues. Depuis, des cadavres traînent encore au bord des routes.

Peu après la prise de la ville, les miliciens ont lancé des messages haineux à la radio, appelant les hommes Nuer à se regrouper pour violer des femmes Dinka (le groupe ethnique dont est issu le président Kiir), rapporte la MINUSS.

Au cours de la dernière semaine, les soldats du président Kiir ont tenté de reprendre Bentiu, ville meurtrie au sein d'un État qui n'a plus d'unité que le nom.

Au pays des rêves brisés

Les Soudanais du Sud ont combattu le pouvoir de Khartoum pendant près d'un demi-siècle. Le 9 juillet 2011, ils ont massivement voté pour la sécession, dans l'espoir de vivre enfin en paix et en démocratie.

L'espoir a fait place à l'amertume, constate Marie-Joëlle Zahar, directrice scientifique du Réseau de recherche sur les opérations de paix de l'Université de Montréal.

«Pour beaucoup de Soudanais du Sud, l'indépendance était censée être un nouveau départ. Ils s'étaient séparés du Soudan, justement parce qu'ils avaient été exclus du pouvoir, parce que les richesses avaient été dans les poches des gouvernants mais n'avaient pas amélioré les conditions de vie. Or, ils retrouvent aujourd'hui en leurs propres gouvernants les mêmes problèmes.»

Ironiquement, le président Kiir et l'ancien vice-président Machar avaient tous deux combattu côte à côte pour obtenir l'indépendance du Soudan du Sud.

Les deux hommes, qui se retrouvaient face à face pour la première depuis le début des hostilités, ontannoncé hier soir la conclusion d'un cessez-le-feu lors d'une médiation tenue à Addis Abeba, en Éthiopie, a rapporté l'Agence France-Presse. Un précédent accord de cessez-le-feu, signé le 23 janvier, n'a jamais été respecté.

L'entente d'hier prévoit également la création d'un gouvernement transitoire en attendant la tenue de nouvelles élections.

L'économie du pays est en chute libre. Et les violences interethniques sont plus graves que jamais, alimentées par la corruption, l'exclusion politique et les querelles entourant la propriété des terres et du bétail.

«Il y a énormément de frustrations, de rêves brisés et de colère provenant d'une population extrêmement vulnérable, dit Mme Zahar. On constate un niveau de violence qu'on n'avait pas vu depuis très longtemps dans les différentes régions du pays.»

Risque de génocide

Dans la ville de Bor, le massacre de 46 civils qui s'étaient réfugiés dans un camp des Nations unies, en avril, a ébranlé les humanitaires qui oeuvrent sur le terrain.

Pour Joanne Liu, présidente de Médecins sans frontières, ce massacre est le symptôme de «l'échec total du système d'aide humanitaire» au Soudan du Sud.

«On pense naïvement que les gens seront en sécurité dans les camps de l'ONU, s'indigne la médecin québécoise, établie à Genève. Ce n'est pas normal qu'une personne qui se réfugie dans un de ces camps finisse quand même par être massacrée.»

Deux mois plus tôt, 14 patients avaient été tués dans un hôpital de Médecins sans frontières à Malakal, rappelle la Dre Liu. «Avant, on ne venait pas tuer des patients dans leur lit. Les hôpitaux étaient des sanctuaires de paix où l'on prodiguait des soins. Mais ça, aujourd'hui, ce n'est plus respecté.»

Le Soudan du Sud est «au bord de la catastrophe», a prévenu la semaine dernière le haut-commissaire pour les droits humains de l'ONU, Navi Pillay. Le secrétaire d'État américain John Kerry a de son côté soulevé la possibilité d'un génocide.

Il est trop tôt pour évoquer une telle menace, estime toutefois Mme Zahar, interviewée avant l'annonce du cessez-le-feu d'hier. «Sans minimiser la violence et l'horreur vécues par les civils, ce n'est pas un contexte où des communautés sont visées uniquement pour leur appartenance tribale, ethnique ou religieuse, dit-elle. Il n'y a pas un plan de se débarrasser de communautés, mais bien le plan de deux rivaux qui cherchent à s'éliminer mutuellement de la scène politique.»