Le chef du mouvement islamiste Boko Haram a revendiqué hier dans une vidéo le rapt de centaines de lycéennes nigérianes dans le nord-est du pays, servant un véritable pied de nez au gouvernement.

«J'ai enlevé les filles. Je vais les vendre sur le marché, au nom d'Allah», a affirmé Abubakar Shekau dans un enregistrement de près d'une heure où il s'en est pris longuement à «l'éducation occidentale», une thématique récurrente.

Il a indiqué que les filles devaient, de manière générale, quitter l'école en vue de se marier, avant de préciser que son groupe entendait «garder des gens comme esclaves» parmi les lycéennes appréhendées.

L'intervention du leader extrémiste est survenue alors que les autorités de l'État de Borno, où l'enlèvement s'est produit le 14 avril, faisaient état de la possibilité que certaines des filles aient été transférées outre-frontière pour être vendues.

La vidéo a fait surface au lendemain d'une intervention publique du président nigérian Goodluck Jonathan, qui a cherché à se montrer rassurant.

«Nous promettons que nous récupérerons les filles, peu importe où elles sont», a-t-il déclaré en relevant qu'il ne fallait pas que leur disparition reste un «mystère» comme dans le cas de l'avion malaisien perdu dans l'océan Indien.

Mobilisation des familles

Le sort des lycéennes crée une vive émotion au Nigeria, où les familles des disparues se sont mobilisées pour organiser une série de manifestations visant à pousser le gouvernement à agir. Le mouvement a pris une dimension internationale, notamment grâce à une campagne sur Twitter.

Bien que le président ait déclaré dans son allocution que la population était en droit «d'exprimer sa colère» envers les autorités, sa femme a semblé vouloir livrer un tout autre message.

L'agence nigériane officielle a rapporté que Patience Jonathan avait semoncé des membres de la communauté de Chibok, d'où venaient les lycéennes, en raison de leur action publique, lors d'une rencontre survenue durant la fin de semaine.

«Vous jouez des jeux. N'utilisez pas les élèves et les femmes pour manifester encore une fois», aurait-elle déclaré, allant apparemment jusqu'à suggérer que les organisatrices des manifestations étaient des sympathisantes de Boko Haram qui cherchent à embarrasser le gouvernement.

L'Agence France-Presse rapportait hier de son côté que l'une des militantes ayant rencontré la première dame dimanche a été appréhendée et interrogée à sa demande par la police.

«Toute histoire concernant Boko Haram est immédiatement politisée au Nigeria... Les élus tentent d'excuser la situation en blâmant les autres», souligne Ej Hogendoorn, qui dirige le programme pour l'Afrique de l'International crisis group (ICG).

Des querelles stériles

Le fait que les États du nord-est du pays - les plus touchés par la mouvance islamiste - soient sous le contrôle de l'opposition alimente les querelles stériles, selon Mausi Segun, recherchiste de Human Rights Watch au Nigeria.

Le gouvernement central, note-t-elle dans une récente analyse, a déjà accusé les élus locaux de soutenir la violence afin de miner son autorité. L'opposition a rétorqué que le camp du président laissait la situation se détériorer pour nuire aux administrations locales.

Les divisions politiques dans le pays freinent la recherche d'une solution durable au défi que représente Boko Haram, note M. Hogendoorn, qui voit la proximité des élections prévues au début de 2015 comme une source additionnelle de paralysie.

L'analyste ne pense pas qu'il sera possible de venir à bout de la mouvance islamiste en demandant à l'armée de muscler sa présence dans les zones touchées. «Ils sont déjà trop sollicités pour pouvoir consacrer des ressources additionnelles à la lutte contre Boko Haram», souligne-t-il.

La véritable solution, à long terme, est de s'attaquer au sous-développement économique de la région, qui alimente les insatisfactions. «Les gens disent qu'il faut un plan Marshall pour le Nord», note M. Hogendoorn.

Ce serait possible de le financer aisément, dit-il, si les élus s'attaquaient aux problèmes de corruption, qui coûtent, uniquement dans le secteur pétrolier, une véritable fortune à l'État.

2400

Nombre de personnes tuées depuis le début de l'année dans des attaques de Boko Haram

300 000

Nombre de personnes déplacées à l'intérieur du pays

Source: Graphic News