En 1994, Théoneste Habarugira, agriculteur hutu de la région de Gisenyi, a massacré des Tutsi avec «un gourdin et une grenade». Lundi à Paris, il a impliqué dans ces tueries Pascal Simbikangwa, premier Rwandais jugé en France pour le génocide.

Gisenyi, dans le nord-ouest du Rwanda, c'est la région d'origine de l'accusé et du président hutu Juvénal Habyarimana, dont l'assassinat le 6 avril 1994 allait être l'événement déclencheur des massacres.

«Le 7 dans l'après-midi, il (Simbikangwa) est venu à une réunion à Kibihekane qui préparait une attaque. Il a dit qu'il fallait tuer les Tutsi (...). Il a dit que nous devions éliminer l'ennemi où qu'il soit», a raconté le témoin au jury de la cour d'assises de Paris, chargé de juger des faits qui se sont produits il y a 20 ans, à des milliers de kilomètres.

Tous les notables de la région disaient pareil, alors il l'a fait. «Sur les barrières (installées sur les routes et chemins du pays), on demandait les cartes d'identité et quand ils montraient Tutsi, alors on tuait».

Par la suite, il affirme avoir vu l'accusé diriger depuis un 4x4 blanc -  - des entraînements de miliciens hutu Interahamwe, dont Théoneste Habarugira se dit lui-même membre «important».

«Nous effectuions du pillage, et au retour étions rémunérés en boisson», poursuit-il via un interprète.

En juillet 1994, il a fui au Zaïre (aujourd'hui République démocratique du Congo) voisin, dans le sillage du régime génocidaire défait par la rébellion tutsi du Front patriotique rwandais (FPR), toujours au pouvoir à Kigali.

Il a intégré des groupes armés «dans la forêt», avant d'être capturé en 1996 lors d'une incursion au Rwanda. Après six mois d'un camp de rééducation, il a été jugé, condamné à 22 ans de prison, dont il a purgé «près de sept».

Rééducation

La défense cherche les contradictions dans son récit, mais contrairement à de précédents témoins, celui-ci ne s'embrouille ni ne varie. Alors l'avocat Fabrice Epstein l'accroche sur sa période de rééducation qui lui a permis, «avec les bons dirigeants, de retrouver la bonne direction». Mais le témoin assume : «Oui, c'est ça» qui lui a fait comprendre que «ce qu'on pensait être bien quand on le faisait» était en fait «de mauvaises actions».

Jean de Dieu Bihintare, 52 ans aujourd'hui, a un parcours similaire. Lui aussi était à la réunion de Kibihekane, où il a vu le capitaine Simbikangwa, mais ne l'a pas entendu parler, étant arrivé en retard. Lui aussi a suivi les consignes de «barrer la route à l'ennemi» tutsi, affecté à des barrages où il «faisait (son) travail».  Il «n'était pas possible qu'il y ait un ordre des autorités et que toi, simple citoyen, tu ne l'exécutes pas».

Il a payé ses actions de six ans de prison. Pour la défense, l'avocate Alexandra Bourgeot exhume un jugement du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) soulignant que le témoin avait menti sur un point en déposant devant cette juridiction.

Le président de la cour d'assises, Olivier Leurent, se tourne vers l'accusé. Qui assure : «De ma vie je n'ai jamais mis les pieds à Kibihekane», un village proche de celui de ses parents. Quant à quitter Kigali dès le lendemain de la mort du président, «est-ce que vous pensez que cette connerie est possible»?

«Que voulez-vous ajouter d'autre sur les mensonges du témoin?», lance le président.

Il s'attire la réponse que le capitaine Simbikangwa martèle à chaque témoignage défavorable : «Ils ont mis en prison deux millions de personnes. Ces gens racontent les récitations d'après la victoire du FPR», au pouvoir à Kigali.

En 100 jours, d'avril à juillet 1994, quelque 800 000 personnes, principalement des Tutsi, ont été tuées durant le génocide. Accusé de «complicité», Pascal Simbikangwa risque la perpétuité.