L'Union africaine (UA), qui multiplie les efforts pour changer la vision portée sur l'Afrique, va pourtant une nouvelle fois cette semaine consacrer son sommet à deux conflits dévastateurs : au Soudan du Sud et en République centrafricaine.

«Le fait que ces deux tragédies humanitaires s'étendent dans les deux pays, au moment où nous parlons de la 'Renaissance de l'Afrique' (le thème du cinquantenaire de l'UA l'an dernier) doit être douloureux pour chacun d'entre nous», a concédé le ministre éthiopien des Affaires étrangères, Tedros Adhanom, avant le sommet de jeudi et vendredi à Addis Abeba.

«À moins que nous ne trouvions urgemment une solution, la situation dans ces deux pays aura de graves conséquences sur la paix et la sécurité dans la région, voire pour l'ensemble du continent», a-t-il ajouté.

L'Éthiopie, dont la capitale héberge les sommets de l'UA, assure la présidence tournante de l'organisation pan-africaine jusqu'à la réunion, où elle passera la main à la Mauritanie.

À l'origine, ce sommet devait avoir pour thème central «l'agriculture et la sécurité alimentaire». Mais l'actualité perturbera nécessairement le programme.

Au Soudan du Sud, deux camps s'opposent depuis mi-décembre, l'armée pro-gouvernementale et des forces regroupées derrière l'ex-vice président Riek Machar.

Ils ont beau avoir signé la semaine dernière un accord de cessez-le-feu, les affrontements continuent. En six semaines, des milliers de personnes ont été tuées et plus de 800 000 chassées hors de chez elles.

Dans ce conflit, l'UA a été invitée la semaine dernière à jouer un plus grand rôle. Jusqu'ici, les efforts de médiation ont été menés par une organisation sous-régionale est-africaine, l'Igad.

«L'une des questions pour l'UA cette semaine est de clarifier ce que sera exactement son rôle», estime Phil Clark, professeur à l'Université londonienne School of Oriental and African Studies (SOAS).

Quant à la Centrafrique, où une force de l'UA est déployée aux côtés d'un contingent de l'armée française, elle est plongée dans la crise depuis mars 2013, quand une rébellion à majorité musulmane a renversé le gouvernement, déclenchant une spirale de violences intercommunautaires dont les civils sont les premières victimes.

Le conflit a aussi fait des centaines de milliers de déplacés.

Faiblesses institutionnelles

Pour Peter J. Pham, de l'Atlantic Council, la lente réponse de l'UA à la crise en Centrafrique, notamment, pointe une nouvelle fois les faiblesses institutionnelles du bloc en matière de gestion des conflits.

«Cela fait plus de dix ans que l'on parle d'une force de réserve africaine, mais dans les faits, à chaque situation d'urgence, tout recommence, il n'y a pas de force de réserve», déplore-t-il. «Il y a très peu d'actions concrètes».

«Beaucoup sont en ce moment préoccupés par le fait que l'UA ne montre pas assez d'autorité pour résoudre ces genres de conflits», renchérit M. Clark. «Donc je pense que ce sont ces sujets qui vont s'imposer».

Le sommet de jeudi et vendredi intervient huit mois après les célébrations du cinquantenaire de l'UA, qui a célébré la «Renaissance» d'un continent, sur fond de dynamisme économique : le bloc ne cesse de mettre en avant les fortes croissances économiques de nombre de ses adhérents.

Les dirigeants des 54 pays membres doivent aussi se pencher au cours des deux jours sur l'«Agenda 2063», une feuille de route sur 50 ans destinée à donner un coup de fouet au continent et l'une des priorités de la présidente de la Commission de l'UA, l'organe exécutif du bloc, Nkosazana Dlamini-Zuma, ancienne ministre sud-africaine de la Santé.

Mais pour Jason Mosley, du centre de réflexion Chatham House, si des plans de développement à long terme sont nécessaires, l'UA ne peut ignorer les conflits qui la ravagent. Selon lui, la rhétorique souvent employée sur «un continent en essor» a occulté les problèmes de fond.

«Ils se sont un peu avancés avec ce discours sur 'l'Afrique en essor'», juge-t-il, alors que le développement est indissociable des questions de paix et de sécurité.

Cette semaine, un autre sujet sensible devrait être au menu des dirigeants : la Cour pénale internationale, violemment accusée l'an dernier de partialité par l'UA. Le bloc avait même demandé à ce que les chefs d'État en exercice comme le Kényan Uhuru Kenyatta ne soient pas jugés.