Avec sa crête de cheveux teints en rouge et bleu, l'écrivain kényan Binyavanga Wainaina, n'a pas peur de choquer. Mais sa récente annonce publique de son homosexualité est sans doute l'un de ses manifestes les plus forts à ce jour.

L'écrivain a fait cette révélation dans une nouvelle publiée en ligne intitulée Je suis homosexuel, maman, défi aux répressives législations antigais du continent africain.

Cette nouvelle est «un acte politique», a expliqué à l'AFP M. Wainaina, figure de la littérature kényane, à son domicile des faubourgs verdoyants de Nairobi. «Beaucoup de gens dans mon entourage d'écrivain, mes proches amis, ma famille, savaient de façon assez claire et depuis pas mal de temps : je ne suis pas très doué pour les secrets complexes».

Ce «coming-out» public, au lendemain de ses 43 ans, le 18 janvier, est d'abord une question de maturité, dit-il. «Il arrive un âge (...) où les opinions des autres nous importent peu», explique l'écrivain.

Mais cette nouvelle a aussi été écrite quelques jours après la promulgation d'une loi anti-homosexualité au Nigeria, pays qu'il admire et considère comme sa seconde patrie. Cette loi prévoit jusqu'à 14 ans de prison pour les couples de même sexe affichant leur relation ou tentant d'officialiser leur union.

«Le Nigeria, avec sa diversité, sa confiance, son talent et sa fierté noire, n'a pas d'équivalent au monde», estime Wainaina, et cette «loi (...) nous fait honte à tous».

La législation nigériane reste néanmoins plus un élément déclencheur que la raison profonde de son annonce. «J'ai décidé de sortir du placard, il y a huit mois. Le projet de loi nigérian n'existait pas alors», mais «il y a un moment où quelque chose vous a tellement dérangé que cela déclenche votre créativité», explique-t-il.

Discriminations

L'homosexualité est illégale dans la plupart des pays d'Afrique et les homosexuels africains sont la cible de nombreuses discriminations.

Au Kenya, les relations homosexuelles sont officiellement illégales, mais les arrestations rares. En Ouganda voisin, le président Yoweri Museveni a refusé en janvier de promulguer une loi aggravant les peines contre les homosexuels, tout en qualifiant l'homosexualité de «maladie».

Essentiellement auteur de nouvelles et d'articles satiriques, Wainaina, par ailleurs journaliste et fondateur de la revue littéraire est-africaine Kwani, a été salué en 2011 pour son ouvrage autobiographique One Day I Will Write About This Place (Un jour j'écrirai sur cet endroit).

Dans sa nouvelle controversée, qu'il présente comme «un chapitre perdu» du livre, l'écrivain, raconte d'abord comment il révèle son homosexualité à sa mère, mourante sur un lit d'hôpital.

«Personne, personne, dans ma vie n'a encore entendu ceci. Jamais, maman. Je ne te faisais pas confiance, maman», lui dit-il, lui tenant la main, avant de lui glisser à l'oreille : «Je suis homosexuel, maman».

Mais, révèle-t-il plus loin, il n'a en fait jamais eu le temps de lui avouer. Sa mère est décédée avant qu'il ait eu le temps de rentrer d'Afrique du Sud, où il vivait alors.

«Moi, Binyavanga Wainaina, je jure honnêtement avoir su que j'étais homosexuel dès l'âge de cinq ans», assène-t-il dans sa nouvelle, avant de révéler n'avoir connu sa première relation homosexuelle qu'à 34 ans et n'avoir «pas pu prononcer le mot "gai" avant d'avoir 39 ans».

L'écrivain, lauréat du Prix Caine pour la littérature africaine en 2002 pour une de ses nouvelles, attribue l'homophobie sur le continent à l'influence des innombrables Églises pentecôtistes, importées des États-Unis.

Sa nouvelle a suscité de nombreux messages de soutien sur les réseaux sociaux, mais aussi quelques critiques, certains lui reprochant notamment ses attaques contre les Églises pentecôtistes.

«Dix millions de mercis aux milliers d'Africains et autres qui m'ont donné toute sorte de marques publiques d'amour et de soutien», a réagi Wainaina sur Twitter, «nous vivons sur un continent magnifique».

Sur une terrasse accueillante, remplie de plantes, Wainaina, vêtu d'une tunique colorée, cigarette à la main, qui évoque ses auteurs favoris, parmi lesquels le Ghanéen Kojo Laing, le Polonais Bruno Schulz ou le Nigérian A. Igoni Barrett, assure à l'AFP ne pas «chercher d'approbation universelle».

«Je cherche à susciter l'intérêt» pour cette cause, explique-t-il, «je veux me battre pour une société redevable envers ses citoyens».