Les belligérants sud-soudanais, sous pression internationale, ont finalement signé un cessez-le-feu jeudi à Addis Abeba. Mais depuis trois semaines, ils négociaient sans se presser dans un hôtel de luxe d'Addis Abeba, alors que des atrocités se multipliaient sur le terrain.

Depuis début janvier, les délégations du gouvernement de Juba et de la rébellion menée par l'ex-vice-président Riek Machar, qui s'affrontent militairement depuis le 15 décembre dans la jeune nation, étaient logées, tous frais payés, au Sheraton de la capitale éthiopienne, où la chambre la moins chère coûte 450 $ la nuit.

Hasard? Les rivaux se sont accordés ce jeudi pour mettre fin sous 24 heures aux affrontements fratricides qui ont fait un demi-million de déplacés et des milliers de morts, quelques jours après avoir été relégués dans un hôtel plus modeste.

Mais entre-temps, le contraste entre le confort des négociations et la brutalité sur le terrain en aura choqué plus d'un.

«La juxtaposition est horrible», a commenté, avant la signature de l'accord de paix, Ahmed Soliman, du centre de recherche Chatham House. «D'une certaine façon, cela reflète bien la source du conflit : le fait que des élites internes au Soudan du Sud ont été incapables d'empêcher la propagation d'un violent conflit. Il est certainement temps de penser aux Sud-Soudanais et au Soudan du Sud en tant que pays».

Jusqu'à la signature jeudi, aucun progrès tangible n'avait été enregistré dans les négociations de paix ouvertes le 3 janvier à Addis Abeba.

Les pourparlers bloquaient notamment sur la question de la libération de onze responsables politiques sud-soudanais proches de Riek Machar, arrêtés aux premiers jours des combats. Les rebelles faisaient de leur libération un préalable à tout cessez-le-feu, exigence refusée par Juba.

Jeudi, les deux parties se sont finalement mises d'accord pour cette libération, sans préciser à la date.

Le président sud-soudanais Salva Kiir accuse Riek Machar - présumé se cacher dans un endroit secret au Soudan du Sud - et ses partisans de tentative de coup d'État, des accusations qualifiées par l'intéressé de prétexte trouvé par le chef de l'État pour éliminer purement et simplement ses opposants.

Déconnexion

Alors qu'au Soudan du Sud, les deux camps multipliaient les offensives brutales, accompagnées d'atrocités - enrôlement d'enfants-soldats, viols, exécutions, massacres ethniques... - dans les salons du Sheraton, l'atmosphère était nettement plus policée.

Les délégations y ont passé de longues heures à siroter des cafés et déguster des repas parmi les plus chers de la capitale, au son du piano à queue de l'hôtel. Avec d'autant moins de pression que la note était réglée par l'organisation est-africaine IGAD, médiateur des pourparlers, avec l'aide de donateurs comme l'Union européenne.

Une seule fois depuis le début des pourparlers les deux délégations ont affiché une belle entente : la semaine dernière, quand elles ont ensemble refusé de négocier dans la boîte de nuit du Sheraton.

La salle de réunion habituelle n'était pas libre. Mais les discussions avaient beau se dérouler en pleine journée, en dehors des heures d'ouverture de la discothèque, pour les deux parties, les lieux étaient trop bruyants, trop inconfortables, pas assez éclairés.

Alors que l'addition s'annonçait de plus en plus salée, les délégations ont finalement été invitées à changer d'hôtel cette semaine. Le nouvel établissement, flambant neuf, proposait des chambres à des prix plus raisonnables : 130 $ la nuit.

Les médiateurs avaient aussi averti que si un cessez-le-feu n'était pas signé dans les prochains jours, il faudrait interrompre les négociations : en raison de la tenue d'un sommet de l'Union africaine, les hôtels sont pleins la semaine prochaine à Addis.

Quoi qu'il en soit, pour David Cheng, avocat sud-soudanais figure de la société civile du pays, le processus était «pervers».

«Il y a une sorte de dynamique perverse autour de pourparlers comme ceux-ci : les gens sont pris en charge, installés dans de confortables conditions avec de très gros per diem», avait-il relevé, estimant qu'un tel confort n'était pas propice à une signature rapide.

«Le fait qu'ils soient confortablement installés dans ces hôtels pendant que d'autres souffrent sur le terrain à cause de leur guerre absurde montre simplement à quel point les dirigeants politiques et militaires sont déconnectés de la population».