Jusqu'à 10 000 citoyens de l'Érythrée sont morts et des dizaines de milliers d'autres ont été battus, violés et torturés dans des cachots secrets du Sinaï, dans l'est de l'Égypte, depuis 2009, selon un rapport européen déposé hier. Une véritable entreprise de la mort, qui a généré plus de 600 millions de dollars en rançons sur une période de quatre ans. Voici les différentes étapes de ce trafic humain méconnu.

Enlèvements

Chaque année, des milliers de citoyens de l'Érythrée, petit pays d'Afrique de l'Est, sont enlevés: plusieurs sont kidnappés alors qu'ils tentent de fuir le pays, l'une des dictatures les plus brutales du monde. Transportés dans le désert du Sinaï, dans l'est de l'Égypte, ils sont retenus captifs tant que leurs proches ne paient pas de rançon. Les rançons demandées par les groupes criminels ont augmenté: quand le phénomène a pris son envol, en 2009, ils demandaient aux familles de payer 1000$US. Aujourd'hui, c'est entre 30 000$ et 40 000$US, parfois plus.

Torture

Dans le rapport intitulé The Human Trafficking Cycle: Sinai and Beyond, déposé hier au Parlement européen par des chercheurs néerlandais et suédois, on trouve le témoignage d'un homme de 38 ans, qui décrit comment ses filles, âgées de 12 et 15 ans, et lui ont été arrêtés par des hommes armés alors qu'ils tentaient de fuir l'Érythrée. Ils ont été transportés en voiture jusqu'au Sinaï. «Nous avons été enchaînés et enfermés dans un sous-sol, avec plusieurs autres personnes d'Érythrée. Les gardes ont violé mes filles devant mes yeux. Je me suis évanoui plusieurs fois. Quand je reprenais mes esprits, ils me montraient mes filles et les agressaient. J'étais hors de moi. Ma plus vieille est tombée enceinte.» Les chercheurs ont aussi parlé à une femme de 25 ans qui a accouché en captivité. «Ils n'ont pas voulu enlever mes chaînes pendant que j'accouchais», a-t-elle déclaré.

Complicité de l'État

Selon les chercheurs, les responsables de ce trafic sont des gangs qui travaillent de concert avec l'appareil de sécurité du Soudan et de l'Érythrée. «Ces groupes profitent de la vulnérabilité de la population pour mener des enlèvements, et vendre les victimes au Sinaï à des groupes de Bédouins qui demandent ensuite des rançons aux familles.» Les auteurs accusent le général Teklai Kifle (alias Manjus), responsable de la sécurité frontalière de l'Érythrée, d'être au coeur de ce réseau de trafic humain, qui a fait entre 25 000 et 30 000 victimes depuis 2007. Jusqu'à 10 000 personnes - le quart des personnes enlevées - sont mortes aux mains de leurs ravisseurs. La plus jeune victime recensée par les chercheurs avait 2 ans.

Quitter l'Érythrée

Jetés dans le désert après avoir été battus, violés et torturés - et après avoir pu générer des milliers de dollars en rançon pour leurs ravisseurs - , les citoyens de l'Érythrée qui survivent à leur captivité sont laissés à eux-mêmes. Certains tentent de traverser le désert du Sinaï pour trouver une vie meilleure en Israël. Ceux qui y parviennent se rendent à Tel-Aviv, où ils dorment dans la rue ou s'entassent dans des appartements en ruine. «Là, note le rapport, bon nombre d'entre eux essaient de recueillir de l'argent, pour payer la rançon d'un proche, toujours captif dans le désert du Sinaï.»