Alors qu'on s'apprête à souligner demain la Journée mondiale de la lutte contre le sida, l'Afrique du Sud demeure l'un des pays les plus touchés au monde par la maladie. Si l'accès au dépistage et aux traitements s'est beaucoup amélioré, les enfants rendus orphelins par le redouté virus représentent un nouveau défi.

«Le sida a ravagé toute une génération et plongé des millions de familles dans la pauvreté», constate Lucia Mazibuko. «La maladie a emporté mes deux filles, puis un de mes petits-fils. Je me demandais sans cesse qui serait le suivant», se souvient cette grand-mère qui vit dans le township d'Alexandra, un ghetto pauvre situé au nord de Johannesburg.

Il y a 13 ans, après la mort de ses filles, elle a recueilli ses trois petits-enfants. Deux d'entre eux sont séropositifs, et l'aîné ne survivra pas. «À l'époque, il n'y avait pas d'accès aux traitements», dit-elle tristement.

La première économie du continent africain compte le plus grand nombre de séropositifs au monde: plus de 5 millions de personnes, soit 10% de la population. Pendant des années, ces derniers ont subi la politique de déni du président Thabo Mbeki (1999-2008), qui doutait du lien entre le VIH et le sida. Il estimait que les antirétroviraux (ARV) étaient toxiques, et leur distribution guidée par des intérêts occidentaux.

Aujourd'hui, un partenariat entre les associations et les institutions gouvernementales a permis une campagne massive de dépistage, la prévention de la transmission de la mère à l'enfant (le taux de contamination est désormais de moins de 3%, contre encore 8% en 2008) et l'accès aux traitements pour près de 2 millions de malades.

Le gouvernement sud- africain a finalement fait de la lutte contre le sida une de ses priorités et le pays dispose d'un programme de distribution d'ARV gratuits pour tous. Malgré cela, la prise en charge tardive de la pandémie a laissé un grand nombre d'orphelins du sida, et le chiffre ne cesse d'augmenter.

L'Afrique du Sud compte environ 4 millions d'enfants qui ont perdu un ou leurs deux parents, la majorité à cause du sida. Traumatisés par ces décès, encore parfois montrés du doigt par la communauté, ces orphelins représentent un défi pour l'avenir du pays.

Poussées par les circonstances, des grand-mères, parfois des tantes, accueillent ces enfants très souvent perturbés pour prendre en charge leur éducation. Des enfants se retrouvent aussi chefs de famille, forcés d'assumer des responsabilités d'adulte et de prendre soin des plus jeunes après la mort des parents.

«Un repas par jour»

C'est le cas de Mbale, 20 ans, qui vit avec trois cousins adolescents dont elle a la charge. Tous les quatre ont perdu leur mère à cause du sida. «Nous vivions avec notre grand-mère, mais elle est morte il y a deux ans, explique la jeune fille, qui s'est vue forcée d'arrêter l'école et de trouver un petit boulot. Nous dépendons toujours principalement de dons pour nous nourrir et, souvent, nous ne faisons qu'un repas par jour.»

Alex Aids Orphans, une association créée en 2001 qui est soutenue au Canada par les Wakefield Grannies, un groupe de grand-mères canadiennes, vient en aide à ces familles brisées par la maladie. Les proches qui prennent en charge des enfants orphelins reçoivent aussi une allocation du gouvernement de 770 rands par mois, et le pays a modifié ses lois afin de conférer aux mineurs le droit d'accéder à cette allocation et aux logements sociaux. Mais les rouages de l'administration peuvent être complexes, et les services sociaux sont débordés. «Tout cela est très confus, on me demande des papiers que je n'ai pas», dit Mbale.

Des orphelins infectés

«Un autre problème auquel nous sommes confrontés aujourd'hui, c'est le fait que certains de ces orphelins, qui étaient pourtant séronégatifs, ont désormais contracté le VIH», dit Diana Teffo, directrice d'Alex Aids Orphans. Et les «papas gâteau», qui cherchent des faveurs sexuelles auprès des adolescentes, constitueraient un facteur majeur dans la propagation du sida chez ces dernières.

«C'est très difficile pour ces jeunes filles pauvres de résister aux avances des hommes plus âgés qui leur promettent de l'argent ou de la nourriture. Et dans ce type de relation, elles ne sont pas en position d'imposer l'usage du préservatif», regrette-t-elle. Selon les experts, les jeunes filles seraient jusqu'à trois fois plus susceptibles d'être infectées par le VIH que les garçons en Afrique du Sud.

Il arrive aussi que certains enfants, qui ont été infectés dès la naissance, ne découvrent qu'à l'adolescence qu'ils sont séropositifs. «Quand ils se rendent dans une clinique, ils sont souvent déjà très malades», affirme Amir Shroufi, coordinateur médical pour Médecins sans frontières, qui insiste sur l'importance de campagnes de dépistage ciblant les adolescents.

«L'adolescence est une période difficile, qui implique de grands changements physiques et hormonaux. Les jeunes sont mal dans leur peau, n'ont pas envie d'être montrés du doigt, et cela rend le suivi d'un traitement plus difficile.»