À Rusthof, un township en périphérie de la station touristique de Strand, à 50 km du centre-ville du Cap, le Gym d'Oncle Frankie permet aux jeunes d'échapper à la drogue et à la criminalité.

Le Cap, Afrique du Sud - Un lundi soir de début d'été, flâneurs et joggeurs profitent des derniers rayons de soleil sur la plage de Strand, localité située en périphérie du Cap. Dans un township à quelques centaines de mètres des hôtels et appartements luxueux avec vue sur l'Atlantique, une bande de durs à cuire soulèvent des haltères et exercent leurs biceps dans un gymnase à ciel ouvert.

Frank Hendricks, quinquagénaire capétonien, accueille les visiteurs dans son domaine avec un immense sourire. Les instruments de musculation occupent chaque centimètre de la cour arrière.

«Tu sais, plus tu t'entraînes intensivement, moins tu as le goût de fumer une cigarette ou de boire une bière», explique cet ex-joueur de rugby, que tout le voisinage surnomme Oncle Frankie.

Dans le salon de son humble, mais coquette maison d'un quartier pauvre, l'ancien militant antiapartheid raconte ce qui l'a amené à convertir sa cour en terrain de jeu pour gangsters repentis.

«Au milieu des années 2000, deux gangs de rue, les Americans et les School Boys menaient une guerre territoriale dans le quartier. Mon fils, alors qu'il portait secours à une dame, a été poignardé à 12 reprises par des membres des School Boys. Ce jour-là, j'étais si furieux que j'ai pris une hache et suis parti à la recherche de ceux qui avaient attaqué mon fils.»

Le fils de Frank, qui a survécu, a convaincu son paternel de ne pas chercher vengeance. Après quelques rencontres avec les gangsters (et leurs mères!), il a déposé les armes et invité les School Boys à en faire autant. Avec son propre argent, le gaillard a mis sur pied son projet de gymnase et bricolé lui-même le matériel de musculation. Dans un pays où l'engouement pour l'activité physique gagne en popularité, mais où seuls les nantis peuvent s'offrir un abonnement au gym, la cour arrière d'Oncle Frankie ne connaît pas de période creuse.

«Je ne facture pas de prix d'entrée. À ceux qui travaillent, je demande 50 rands par mois [environ 5$], soit juste assez pour couvrir l'électricité.»

Howard, un pompier athlétique de Rusthof de 25 ans qui fréquente le gym depuis deux ans, décrit ce giron un peu bordélique, où règnent la camaraderie et l'entraide sportive, comme une enclave de santé dans un quartier où le «tik» (le crystal meth bas de gamme des townships sud-africains) fait des ravages. «Il y en a qui commencent à consommer dès l'âge de 13 ans. J'ai vu des amis se détruire et voler les membres de leur propre famille.»

Braii et bodybuilding

Dans le gym de Frankie, où un circuit d'entraînement détaillé est affiché dans un hangar bancal, il y a des culturistes du Zimbabwe, des écoliers, quelques sportives, un joueur de rugby du Cameroun, des ex-détenus en libération conditionnelle...

Lors du passage de La Presse, Matthew, lycéen de 14 ans à l'allure de brindille, faisait ses premiers pas dans le giron de Frankie. Son ambition? Participer à des compétitions junior de bodybuilding.

Plusieurs habitués se préparaient alors pour une compétition qui avait lieu le samedi suivant à Belleville, dans le Cap-Occidental.

Frankie, lui, collectionne les photos de ses «protégés» qui triomphent dans les concours. Il nourrit aussi le projet d'agrandir son gym, d'acquérir de nouvelles pièces d'équipement et d'offrir des classes de zumba.

«C'est comme une famille ici: les gens finissent par se connaître, s'entraider et se retrouve le samedi autour d'un «braii» [le fameux barbecue sud-africain]. J'y ai vu plein de gens améliorer leur santé, leur vie.»

La violence en hausse en Afrique du Sud

Des statistiques rendues publiques en septembre 2013 par le gouvernement sud-africain révèlent que la criminalité est un fléau en recrudescence au pays de Nelson Mandela. Les chiffres pour la période 2012-2013 indiquent que l'Afrique du Sud traverse sa pire vague de violence en 10 ans, après avoir enregistré une diminution des incidents depuis 1994.

D'avril 2012 à mars 2013, on calcule en moyenne 45 meurtres par jour, des tentatives de meurtre en hausse de 6,5%, des cambriolages violents en hausse de 3,6% et des crimes reliés à la drogue en hausse de 13,5%.

Dans la région du Cap, l'afflux d'étrangers et de réfugiés économiques, de même que la guerre entre gangs pour le contrôle du marché de la drogue, aggravent la situation.

«La forte présence de violence est inacceptable et devrait être traitée comme une crise sérieuse qui nuit au développement social et économique de l'Afrique du Sud», a déclaré Gareth Newham, de l'Institut pour les études de la sécurité.