L'Union africaine (UA) va demander à l'ONU l'ajournement des procédures de la Cour pénale internationale (CPI) contre les dirigeants en exercice, a-t-on appris à l'issue d'une réunion des ministres des Affaires étrangères de l'organisation panafricaine.

Cette réunion était convoquée par le Kenya, dont le président Uhuru Kenyatta et le vice-président William Ruto sont poursuivis pour crimes contre l'humanité par la CPI.

Les ministres des Affaires étrangères de l'UA ont «recommandé» la mise en place d'un «groupe de contact» avec le Conseil de sécurité de l'ONU, sur le sujet, a déclaré dans la nuit de vendredi le chef de la diplomatie éthiopienne Tedros Adhanom Ghebreyesus, dont le pays occupe la présidence en exercice de l'UA, à l'issue de cette réunion à Addis Abeba.

Ce «groupe de contact» devra convaincre le Conseil de sécurité «d'appuyer la requête (africaine) d'un ajournement des procédures contre le président et le vice-président du Kenya ainsi que contre le président du Soudan (Omar el-Béchir), conformément à l'article 16 du Statut de Rome» fondateur de la CPI, a-t-il détaillé.

Cet article 16 permet au Conseil de sécurité d'imposer à la CPI la suspension de toute enquête ou poursuite pour une durée d'un an, renouvelable de facto indéfiniment chaque année.

L'UA estime que «les chefs d'État et de gouvernement en exercice ne devraient pas être poursuivis quand ils sont en fonction. Nous avons décidé de parler d'une seule voix afin d'être sûrs que nos préoccupations soient clairement entendues», a poursuivi Tedros Adhanom Ghebreyesus.

Le projet de résolution, adopté tard vendredi par les ministres africains et qui doit être soumis samedi aux chefs d'État réunis en Sommet extraordinaire, ne fait explicitement référence qu'aux dirigeants kényans.

L'UA «demande que les inculpations contre le président et le vice-président du Kenya soient ajournées conformément à l'article 16 du Statut de Rome, afin de leur permettre de remplir leurs obligations constitutionnelles», selon le texte, qu'a pu consulter l'AFP.

La résolution réclame que cet ajournement intervienne «avant le début du procès» de M. Kenyatta, prévu le 12 novembre à La Haye. Le procès de M. Ruto - et de son co-accusé, l'animateur radio Joshua arap Sang - s'est ouvert le 10 septembre.

Les deux têtes de l'exécutif kényan, premiers dirigeants en exercice jugés par la CPI, sont jugées séparément pour leurs responsabilités respectives dans les terribles violences politico-ethniques sur lesquelles avait débouché la précédente présidentielle de fin 2007, au cours de laquelle ils appartenaient à deux camps opposés.

Le texte «réaffirme» néanmoins également de façon générale «le principe de l'immunité des chefs d'État et autres dirigeants internationaux durant leur mandat, dérivé des lois nationales et coutumes internationales».

«À cet égard, aucune inculpation ne saurait être lancée ou poursuivie par une quelconque cour ou tribunal international contre un quelconque chef d'État ou de gouvernement en exercice», poursuit l'UA dans ce projet de résolution.

MM. Kenyatta et Ruto ont promis de coopérer avec la CPI, qui a lancé un mandat d'arrêt contre le président soudanais pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide au Darfour, région de l'ouest du Soudan.

Vendredi, en ouvrant la réunion, Tedros Adhanom avait vertement critiqué la CPI, dénonçant «son traitement inique de l'Afrique et des Africains», référence au fait que la CPI n'a inculpé ou jugé que des Africains depuis le début de ses travaux en 2002.

«Loin de promouvoir la justice et la réconciliation (...) la CPI s'est transformée en instrument politique visant l'Afrique et les Africains», a-t-il accusé: «ce traitement inique et injuste est totalement inacceptable».

Des ministres avaient vendredi écarté l'hypothèse un temps avancée d'un retrait collectif de l'UA du Statut de Rome ce week-end.

En mai, dans la foulée de la victoire à la présidentielle de M. Kenyatta et de son colistier William Ruto, les 54 membres de l'UA avaient quasi unanimement fait bloc derrière Nairobi pour dénoncer un acharnement du tribunal de La Haye contre le Kenya et l'Afrique en général.

L'UA avait demandé sans succès le renvoi au Kenya des poursuites contre les deux dirigeants kényans, le président en exercice de l'UA, le Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn, accusant même la CPI de «chasse raciale».

La Cour a également refusé à MM. Kenyatta et Ruto la possibilité de ne pas assister à toutes les audiences à La Haye.

À l'approche du sommet de l'UA, plusieurs voix s'étaient élevées pour dénoncer ces attaques de la CPI par les pays africains. Jeudi, l'ex-secrétaire général de l'ONU Kofi Annan a estimé que le débat à l'UA visait davantage à protéger les «dirigeants» que les «victimes».

«Le message aux victimes, investisseurs et au monde est que les dirigeants du continent sont allergiques aux institutions veillant à ce que chacun rende des comptes», a renchéri l'Institut des Études stratégiques (ISS), centre de réflexion spécialisé sur l'Afrique.