La Cour pénale internationale a rendu public mardi un mandat d'arrêt contre un troisième suspect des violences postélectorales ayant déchiré la Côté d'Ivoire en 2010 et 2011 : Charles Blé Goudé, chef des «jeunes patriotes» ivoiriens et proche de l'ancien président Laurent Gbagbo.

Les juges ont en fait décidé de lever les scellés apposés au mandat d'arrêt, initialement émis le 21 décembre 2011.

Ex-ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo et chef des «jeunes patriotes», milices pro-Gbagbo parfois extrêmement violentes, M. Blé Goudé avait été arrêté le 17 janvier au Ghana après plus d'un an et demi de cavale et extradé dès le lendemain vers la Côte d'Ivoire, où il est détenu.

Après Laurent Gabgbo et son épouse Simone, il est le troisième suspect à faire l'objet d'un mandat d'arrêt de la CPI pour les violences ayant fait plus de 3000 morts à la suite de l'élection d'Alassane Ouattara, contestée par le président sortant Laurent Gbagbo.

La CPI soupçonne Charles Blé Goudé, 41 ans, de quatre chefs de crimes contre l'humanité, à savoir meurtre, viol, persécution et autres actes inhumains, commis entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011.

Le «ministre de la rue»

Dans le mandat d'arrêt, les juges estiment qu'il y a des motifs raisonnables de croire que «Charles Blé Goudé recevait des instructions de la part de Laurent Gbagbo, qui le consultait également sur des questions politiques importantes».

Il aurait exercé un «contrôle conjoint sur les crimes, dans la mesure où il avait un pouvoir de contrôle et donnait des instructions directement aux jeunes qui étaient systématiquement recrutés, armés, formés et intégrés à la chaîne de commandement des Forces de défense et de sécurité ivoiriennes (FDS)», selon la même source.

Selon les juges, il est également raisonnable de croire que les attaques lançées par les pro-Gbagbo ont été menées dans le cadre d'un plan commun, pensé par Laurent Gbagbo et son entourage, auquel appartenait Charles Blé Goudé.

L'ancien président Laurent Gbagbo est écroué depuis fin 2011 à La Haye par la CPI, qui le soupçonne de crimes contre l'humanité. Début juin, les juges avaient indiqué qu'ils avaient besoin de preuves supplémentaires pour décider de mener ou non un procès contre lui.

Son épouse Simone fait elle aussi l'objet d'un mandat d'arrêt de la CPI, mais Abidjan refuse de la remettre à la Cour, au motif que la justice ivoirienne est désormais en capacité d'assurer équitablement son procès.

Considéré par des ONG internationales comme responsable de nombreuses violences, Charles Blé Goudé, surnommé «général de la rue» ou encore «ministre de la rue» pour sa capacité de mobilisation, a régulièrement été cité comme une cible possible de la CPI.

La «gaffe» d'Abidjan

L'annonce de la CPI pourrait être liée à la «gaffe» du ministre de la Justice ivoirien, Gnénéma Mamadou Coulibaly, qui avait annoncé il y a dix jours que «Charles Blé Goudé (faisait) effectivement l'objet d'un mandat d'arrêt», ce que ni le gouvernement ivoirien ni la CPI n'avaient jusqu'alors souhaité confirmer.

Dans une période post-conflit où le régime de Ouattara est accusé de pratiquer une «justice des vainqueurs», aucune figure de son camp n'ayant été inquiétée pour les graves crimes commis durant la dernière crise, la réaction d'Abidjan sera scrutée par l'opposition.

Livrer l'ex-chef des Jeunes patriotes à la juridiction internationale serait très mal vu en période de réconciliation nationale.

Mais ne pas le faire, au motif que la justice ivoirienne est désormais compétente pourrait valoir à la Côte d'Ivoire de fortes critiques de la communauté internationale.

Roselin Bly, président intérimaire du «Congrès panafricain pour la justice et l'égalité des peuples» (COJEP), fondé par M. Blé Goudé et organisation clé de la galaxie des «patriotes», a assuré à l'AFP que «ce mandat d'arrêt est inopportun dans un contexte où le gouvernement ivoirien vient de refuser le transfèrement de Simone Gbagbo».

«Si le gouvernement ivoirien affiche sa claire intention de juger ses compatriotes sur son sol, comment comprendre un nouveau mandat d'arrêt contre un autre proche de Gbagbo?», a interrogé M. Bly, avant de répondre : «la CPI encourage la manifestation de la justice des vainqueurs».