Des milliers de manifestants ont accusé samedi le président soudanais Omar el-Béchir d'être un «assassin», au sixième jour d'une contestation meurtrière déclenchée par une hausse du prix des carburants dans un pays plongé dans la crise et les violences.

Dans une lettre à M. Béchir, des réformateurs au sein de son parti, le Parti du Congrès national, ont appelé samedi à cesser la répression des manifestants et à renoncer aux mesures d'austérité décidées.

«Les mesures économiques mises en place par le gouvernement, et la répression menée contre ceux qui s'y sont opposés, sont loin de la compassion et de la justice ainsi que du droit à l'expression pacifique», ont écrit ces 31 réformateurs, parmi lesquels un ancien conseiller présidentiel et un ex-général condamné pour tentative de coup d'État puis gracié par le président.

«Béchir, tu es un assassin», ont scandé quelque 2000 manifestants, dont des femmes et des enfants, après les funérailles de Salah Mudathir, un pharmacien de 28 ans tué lors d'une manifestation vendredi à Khartoum Bahri, au nord de la capitale.

Selon les autorités, 33 personnes ont été tuées dans les affrontements qui ont parfois suivi les manifestations depuis lundi à travers le pays, mais des organisations de défense des droits de l'Homme ont évoqué un bilan de 50 morts pour les seules journées de mardi et mercredi.

Les manifestants, qui ont réclamé la chute du régime, ont été dispersés dans la journée par les forces de l'ordre à coups de gaz lacrymogène selon des témoins, comme les protestations des jours précédents.

Un journaliste de l'AFP a vu des agents des services de sécurité arrêter six personnes.

Selon le ministère de l'Intérieur, 600 personnes ont été arrêtées pour «leur participation aux actes de vandalisme» et seront jugées la semaine prochaine.

Le gouvernement continue de garder le silence face à cette contestation d'une ampleur inédite depuis l'arrivée au pouvoir de M. Béchir en 1989.

«Manifestations de sans-voix»

Issu d'une riche famille connue dans les affaires et la politique, Salah Mudathir n'était pas représentatif des manifestants qui déferlent dans les rues depuis lundi, essentiellement issus des classes défavorisées, selon des experts.

«C'est maintenant une révolte des quartiers», a expliqué Magdi El Gizouli, expert au Rift Valley Institute. «Ce sont des manifestations de sans-voix» qui n'ont pas de perspectives dans un pays plongé dans le marasme économique.

Le pays, qui a perdu des milliards de dollars de revenus pétroliers depuis la partition en juillet 2011 du Soudan du Sud, est frappé par une inflation galopante et peine à financer ses importations.

Selon M. Gizouli, le mouvement actuel est très différent de celui de juin 2012, qui avait également vu de nombreuses manifestations sporadiques alors menées par les étudiants et les militants de l'opposition.

Le parti d'opposition Oumma de l'ex-premier ministre Sadek Al-Mehdi a appelé pendant la semaine à poursuivre le mouvement, tandis que des militants ont réclamé «la démission du chef de l'État et du gouvernement corrompu».

Samedi soir, aucun mot d'ordre n'avait été donné pour la journée de dimanche.

Le Réseau des journalistes soudanais, une organisation non officielle, a annoncé que ses membres cessaient de travailler en raison des tentatives du pouvoir de les empêcher de couvrir le mouvement de protestation.

«Nous voyons notre peuple être tué et nous ne pouvons ignorer cela», a déclaré dans un communiqué ce groupe revendiquant 400 membres.

Pour tenter de maintenir le black-out médiatique sur les manifestations, les autorités ont fermé les bureaux d'Al-Arabiya et de Sky News Arabiya à Khartoum, selon les deux chaînes satellitaires arabes, et saisi ou empêché de paraître trois quotidiens soudanais.

Les États-Unis ont condamné «la répression brutale» et «disproportionnée» du gouvernement soudanais et l'Union européenne s'est dite «inquiète».

Outre cette vague de protestations, Omar el-Béchir, recherché par la Cour pénale internationale pour génocide et crimes de guerre au Darfour, fait face depuis deux ans à une rébellion armée dans les régions frontalières du Soudan du Sud et à une recrudescence des violences au Darfour, essentiellement entre tribus arabes.