Plus de cinq millions de Guinéens sont appelés à voter samedi pour élire leurs députés, un scrutin repoussé depuis trois ans qui se tient dans un contexte de tensions politiques, sur fond de rivalités ethniques et de rumeurs de coup d'État.

«L'enjeu de ces législatives est de sortir de la transition» entamée en décembre 2008 après la mort de Lansana Conté, président qui a dirigé le pays jusqu'à son décès pendant près de 24 ans, résume l'analyste guinéen Mamadou Aliou Barry.

Après deux ans de transition chaotique sous la coupe des militaires, l'opposant historique Alpha Condé est devenu fin 2010 le premier président démocratiquement élu de ce pays de 11 millions d'habitants, à l'histoire marquée par les violences politiques, militaires et ethniques depuis son indépendance de la France en 1958.

M. Condé, chef du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), a battu au second tour de la présidentielle Cellou Dalein Diallo, chef de l'Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), devenu, depuis, son principal opposant.

Censées se tenir dans les six mois suivant l'investiture du nouveau chef de l'État, en décembre 2010, les législatives ont depuis lors été sans cesse repoussées, sous les accusations de manipulation du fichier des électeurs et la contestation de la Commission électorale (Ceni).

Une confrontation entre deux blocs

Au total 1714 candidats - parmi une trentaine de listes - sont en compétition pour 114 sièges à pourvoir.

En dépit de la multitude des candidatures, le scrutin se résume pour l'essentiel à une confrontation entre les deux coalitions constituées autour du RPG et de l'UFDG.

Plus d'une centaine d'observateurs de l'Union européenne (UE) et l'Union africaine (UA) superviseront le vote, dont les résultats sont annoncés par la Ceni dans les 72 heures suivant le scrutin.

L'opposition a accusé le président de la Céni d'être proche du pouvoir, et reproche notamment à la commission d'avoir «gonflé» le nombre d'électeurs dans les zones réputées favorables au pouvoir. Beaucoup d'électeurs se sont plaints de n'avoir pu retirer leurs cartes d'électeur.

Cette contestation politique a été marquée ces derniers mois par plusieurs manifestations qui ont dégénéré en débordements meurtriers.

«C'est une chaîne de choses. Il y a des problèmes techniques importants (...)», pointe Vincent Foucher, chercheur à l'ONG International Crisis Group (ICG), qui rappelle que la présidentielle de 2010 «a été extrêmement disputée».

«On est dans un pays qui commence à tester la question électorale, ça se fait avec beaucoup de suspicions. (...) Mais on est dans un moment d'apprentissage électoral, c'est un moment crucial pour la formation de la démocratie», ajoute M. Foucher.

Ces élections ont également lieu «dans un contexte de dissensions entre deux principaux groupes ethniques, les Peuls et les Malinké, instrumentalisées par les partis politiques», observe Mamadou Aliou Barry.

«Les Peuls estiment que depuis l'indépendance, ils n'ont pas exercé le pouvoir, contrairement aux (...) Malinké et Soussou» notamment. «Ils estiment qu'ils ont été volés lors de la présidentielle de 2010» avec la défaite de M. Diallo.

Un scrutin qui s'annonce «très agité»

En Guinée, le militantisme politique est notoirement réputé ethnocommunautaire. Ainsi, le Malinké Alpha Condé compte beaucoup de Malinké au sein du RPG, tandis que les Peuls, ethnie de Cellou Dalein Diallo, se retrouvent majoritairement à l'UFDG. Les violences politiques ont souvent ravivé les tensions ethniques dans le pays.

Mercredi, le ministre de la Sécurité, Madifing Diané, a affirmé que le scrutin de samedi s'annonçait «dans des conditions très agitées», en mettant en cause, sans les nommer, des membres de l'UFDG et de ses alliés.

Il a aussi fait état de menaces contre son pays, émanant de l'étranger, après l'évocation le même jour par l'hebdomadaire français Le Canard enchaîné d'un coup d'État en préparation contre le pouvoir guinéen.

«La Guinée est en danger, mais (...) la ficelle est tirée de l'extérieur et quelques politiques qui ont dérapé de leur option politique sont au coeur de cette agitation», a accusé M. Diané, sans plus de détails.

Selon Le Canard enchaîné, citant des notes de services de renseignements américains et français, le projet de coup d'État est nourri par des convoitises sur les richesses minières importantes dont recèle le sous-sol guinéen.

Premier pays exportateur mondial de bauxite, la Guinée possède des gisements de minerai de fer, d'or, de diamant et de pétrole, mais plus de la moitié de ses habitants vit sous le seuil de pauvreté selon les Nations unies.

«La Guinée est devenue le terrain de prédilection de différents lobbies» autour de ses richesses minières, constate M. Barry, qui dit cependant ne pas croire «à cette histoire de coup d'État».