Le paisible archipel de Zanzibar, populaire auprès des touristes pour ses plages paradisiaques, est secoué par une série de violences ciblant la minorité chrétienne. À l'origine de ces tensions, une réforme constitutionnelle entamée par la Tanzanie, dont l'archipel semi-autonome fait partie.

«Je sais que ma vie est en danger, mais je ne partirai pas. Si je meurs, je mourrai à Zanzibar.» Le révérend Cosmas Shayo est le curé de la paroisse catholique de Saint-Joseph, à Zanzibar. En février, son prédécesseur, le père Evarist Mushi, a été tué d'une balle à l'entrée de la cathédrale. Puis, il y a quelques jours, son collègue, le révérend Joseph Anselmo Mwagambwa, a subi de graves blessures lors d'une attaque à l'acide en pleine rue.

Encore tout récemment, la minorité chrétienne - moins de 1% de la population de Zanzibar - menait une existence paisible dans l'archipel majoritairement musulman. Mais aujourd'hui, le révérend Shayo et ses ouailles vivent dans la peur. Depuis l'automne dernier, plusieurs églises chrétiennes ont été incendiées, à Zanzibar et sur la côte est de la Tanzanie, et les attaques contre des chrétiens s'accumulent. La police multiplie les arrestations, mais presque aucune enquête n'aboutit à un procès.

Toutefois, pour le révérend Shayo, l'identité des coupables ne fait aucun doute. Il blâme les partisans d'Uamsho ("réveil", en swahili), une organisation islamiste et indépendantiste locale.

Officiellement enregistré comme une ONG religieuse, le groupe s'est contenté dans le passé de promouvoir l'islam dans l'archipel. Mais au cours des derniers mois, il s'est immiscé dans l'arène politique, puisant ses appuis au sein d'une jeunesse zanzibarie désabusée par des taux de pauvreté et de chômage élevés.

Mettant tous les maux de l'archipel sur le dos des Wabaras - les habitants du Tanganyika (la Tanzanie continentale), dont une faible majorité est chrétienne -, Uamsho réclame la fin de l'union et l'instauration de la loi islamique dans l'archipel.

«Il y a beaucoup de propagande dans l'archipel laissant entendre que la Tanzanie a été construite par des chrétiens, pour des chrétiens, et que les Zanzibaris souffrent au sein de cette union», constate Stefan Reith, de la Fondation Konrad Adenauer, un groupe de réflexion allemand surveillant les relations interreligieuses et politiques en Tanzanie.

Une réforme difficile

Les relations entre chrétiens et musulmans se sont envenimées progressivement en Tanzanie depuis que le gouvernement central a entamé un processus de réforme constitutionnelle à l'été 2012, ramenant les revendications pour un Zanzibar plus autonome à l'avant-scène. Selon Stefan Reith, Uamsho a alors «récupéré le débat sur la Constitution» pour faire «un Zanzibar indépendant et plus islamique».

Il ajoute que le mouvement a gagné en appuis depuis que le Front civique uni (CUF), le principal parti de l'opposition zanzibari, s'est uni au parti au pouvoir pour former un gouvernement d'unité nationale lors des dernières élections. «Des rumeurs voudraient que des membres du CUF n'ayant pas obtenu de poste au sein du nouveau gouvernement utilisent Uamsho pour promouvoir leur programme politique et obtenir l'indépendance», explique M. Reith.

Mais le révérend Shayo estime que le message d'Uamsho va beaucoup plus loin. «Ils veulent dire à tous ceux qui ne sont pas de Zanzibar: «Partez, vous n'êtes pas à votre place», lance-t-il, en mentionnant une attaque récente contre deux touristes britanniques.

En août, Kristie Turp et Katie Gee, toutes deux âgées de 18 ans, ont été gravement blessées lorsque deux individus leur ont jeté de l'acide au visage dans le quartier historique de Stone Town.

Cette attaque, qui n'a pas été revendiquée, survient après que certains membres d'Uamsho eurent appelé à l'instauration de codes vestimentaires et de conduite stricts pour les touristes visitant l'archipel. De telles mesures existent notamment en Arabie saoudite, où la consommation d'alcool est strictement interdite et où les femmes doivent porter le voile intégral.

La police tanzanienne a arrêté 15 personnes relativement à cette affaire, dont certaines auraient des liens avec les shebab somaliens, le groupe islamiste ayant revendiqué l'attentat dans un centre commercial de Nairobi, au Kenya voisin, le week-end dernier. Bien qu'aucun lien n'ait encore été officiellement établi entre Uamsho et les shebab, ces derniers auraient procédé à plusieurs opérations de recrutement en Tanzanie au cours des dernières années.