Le bilan canadien s'est alourdi à Nairobi, à la suite de l'attaque perpétrée contre un centre commercial de la capitale kenyane largement fréquenté par les consommateurs locaux bien nantis et par les étrangers. Le bilan total pourrait être «bien plus élevé» que les 68 morts annoncés jusqu'ici, a affirmé la police kényane, dans la foulée d'un nouvel assaut des forces de l'ordre pour tenter de neutraliser les assaillants.

Le ministre des Affaires étrangères, John Baird, a indiqué qu'en plus de deux Canadiens tués, trois autres compatriotes ont été blessés lors de l'attaque qui a commencé samedi et qui s'est poursuivie dimanche.

De passage à Toronto dimanche, M. Baird a indiqué que, parmi les blessés, on compte deux citoyens canadiens alors que le troisième est un résident permanent.

L'identité de l'un d'entre eux a déjà été dévoilée. Il s'agit de Robert Munk, le mari de la diplomate canadienne, Annemarie Desloges, qui, elle, a été abattue dans le centre commercial de Nairobi.

Mme Desloges a travaillé au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, au haut-commissariat du Canada au Kenya et à l'Agence des services frontaliers du Canada. Elle était en poste au Kenya depuis deux ans. Auparavant, elle avait oeuvré en Inde.

Par ailleurs, divers médias et des abonnés du réseau social Facebook ont indiqué que l'autre victime canadienne serait Naguib Damji, un homme d'affaires de Vancouver.

Le président de l'Association professionnelle des agents du service extérieur, dont Mme Desloges était membre, a réagi à l'annonce de la mort de la jeune femme de 29 ans.

Photo tirée de Facebook

Annemarie Desloges

Tim Edwards a qualifié sa fin tragique de «blessure profonde pour la communauté des affaires étrangères». Il a aussi écrit qu'Annemarie Desloges avait devant elle «une carrière remplie de promesses», mais qu'elle n'a pu réaliser son plein potentiel.

Il a précisé que ses collègues et lui souffrent de la perte «d'une collègue et amie intelligente et chaleureuse», d'une professionnelle «méticuleuse» dotée «d'un fort sens de l'éthique».

Il a rappelé qu'il s'agissait de la première diplomate canadienne à mourir dans le pays où elle exerçait ses fonctions depuis Glyn Berry qui avait été tué par un engin explosif en Afghanistan en 2006.

Daniel Lee Howe, qui avait déjà participé à une formation avec Annemarie Desloges à Ottawa, s'est aussi dit désolé de cette «grande perte», mais a avoué que ça ne le découragerait pas d'accepter de futures missions à l'étranger.

Plusieurs messages de sympathie destinés aux proches de la disparue ont également été affichés sur le réseau social «Twitter».

Au moins 68 personnes ont été tuées durant l'attaque au Kenya et plus de 175 autres ont subi des blessures.

Des otages se trouvaient toujours dans le centre commercial dimanche et les autorités kenyanes ont indiqué qu'elles feraient de leur mieux pour qu'ils soient épargnés.

Or, leurs ravisseurs ont déjà soutenu qu'il n'y aurait pas de négociations.

Le groupe islamiste radical Al-Shabab a revendiqué le carnage, soutenant qu'il s'agissait d'une mesure de représailles contre la présence militaire kenyane en Somalie.

Le ministre a précisé avoir eu l'occasion de s'entretenir avec son homologue du Kenya pour lui offrir ses condoléances au nom du Canada et pour lui garantir son soutien dans la lutte au terrorisme.

John Baird a tenu à lui dire que son pays soutiendra «le combat contre le terrorisme international d'Al-Shabab» en qualifiant les actions du groupe d'«ignobles».

Il a également lancé que «le nombre de personnes tuées de toutes sortes de nationalités démontre que la lutte contre le terrorisme est la grande bataille de notre génération» qui doit être menée en misant sur la «collaboration».

M. Baird a dit qu'il attendrait que la crise soit terminée avant de déterminer les prochaines étapes à mettre en branle dans le dossier du contre-terrorisme en compagnie de ses alliés.

Le président du Kenya, Uhuru Kenyatta a, quant à lui, réitéré que la détermination de son pays à combattre le terrorisme ne déclinerait pas.

Les autorités kényanes prennent du terrain

Selon une source policière, des membres des forces de l'ordre kényanes ont pénétré dans le bâtiment alors que la nuit tombait sur Nairobi et ont vu de nombreux corps étendus à divers endroits.

«Il y a davantage de morts à l'intérieur et certains assaillants sont toujours armés et lancent des grenades et tirent sur les policiers», a indiqué la police kényane. Le bilan «pourrait être beaucoup, beaucoup plus élevé.»

Juste avant, le centre de gestion de crise kényan, organe gouvernemental, avait parlé d'une «importante» opération en cours pour tenter de neutraliser le commando islamiste, retranché dans le centre commercial depuis samedi et détenant un nombre indéterminé d'otages.

En début de soirée, un hélicopère de combat de l'armée effectuait des tours de plus en plus rapprochés du centre commercial. Un journaliste de l'AFP a entendu une explosion.

Selon un militaire kényan, une tentative de reprendre le contrôle du bâtiment avait échoué plus tôt dans la journée.

Plus de 1000 personnes ont été secourues depuis samedi dans le centre commercial de luxe, bondé de Kényans et d'expatriés venus faire leurs courses du week-end ou attablés à la terrasse de cafés et de restaurants.

Mais selon les autorités kényanes, 10 à 15 assaillants se trouvaient encore dans le bâtiment dimanche.

La plupart des personnes prises en otage par un commando islamiste dans le centre commercial Westgate de Nairobi ont été secourues, a affirmé dimanche soir l'armée kényane, précisant que les forces de sécurité avaient repris le contrôle de la plus grande partie du bâtiment. «Tous les efforts sont en cours pour apporter une conclusion rapide à cette affaire», a dit l'armée kényane sur Twitter

Une autre source sécuritaire s'exprimant sous couvert d'anonymat a évoqué la présence d'agents israéliens aux côtés des forces kényanes pour tenter de venir à bout du commando.

Le Westgate Mall est réputé être en partie la propriété d'Israéliens.

Un responsable israélien a laissé entendre qu'il pourrait davantage s'agir d'un appui logistique que d'une intervention armée à proprement parler.

Plusieurs étrangers, dont deux Canadiens, trois Britanniques, un Sud-Africain, une Sud-Coréenne, une Néerlandaise, un Péruvien et deux Indiens sont décédés, ainsi qu'un célèbre poète et homme d'État ghanéen, Kofi Awoonor, ont été tués dans l'attaque. Des Américains et de nombreux autres occidentaux -cibles privilégiées des assaillants- figurent parmi les blessés, estimés à 175 par Nairobi.

Le président kényan Uhuru Kenyatta a annoncé que son neveu et la fiancée de ce dernier figuraient parmi les tués. Les responsables de l'attaque «devront payer pour leurs actes ignobles et bestiaux», a-t-il menacé.

Toute la journée, les blessés ont continué d'arriver dans les hôpitaux des alentours.

«Notre hôpital est complètement plein, nous avons été contraints d'envoyer des patients vers d'autres établissements», a indiqué un médecin de l'hôpital M.P. Shah.

«Les assaillants tiraient dans le tas»

Le commando islamiste a pénétré samedi en début d'après-midi dans le centre commercial, ouvrant le feu à l'arme automatique et à la grenade sur la foule des clients et employés du centre.

Selon le réseau CNN, les tireurs seraient originaires notamment du Canada, de la Finlande, du Kenya et de la Somalie, et seraient âgés entre 20 et 27 ans.

Jusque dans la soirée, alors que les affrontements se poursuivaient, clients apeurés et employés traumatisés, piégés dans le centre, ont continué d'en émerger par petits groupes, au fur et à mesure de la lente progression des forces de l'ordre. Blessés et cadavres ensanglantés ont été évacués par les services de secours.

Il s'agit de l'attentat le plus meurtrier à Nairobi depuis une attaque-suicide d'Al-Qaïda en août 1998 contre l'ambassade américaine, qui avait fait plus de 200 morts.

Des intérêts israéliens au Kenya ont déjà été la cible d'attaques revendiquées par Al-Qaïda: en 2002, un attentat suicide mené par trois kamikazes contre un hôtel fréquenté par de nombreux touristes israéliens avait tué 12 Kényans et trois touristes israéliens près de la ville côtière de Mombasa. Presque simultanément, un avion israélien avec 261 passagers à bord avait échappé de peu aux tirs de deux missiles à son décollage, également à Mombasa.

L'attaque du Westgate a été revendiquée samedi soir par les shebab somaliens, liés à Al-Qaïda, qui l'ont présentée comme une opération de représailles à l'intervention des troupes kényanes en Somalie.

Une employée du centre commercial, Zipporah Wanjiru, qui a réchappé à l'attaque en se cachant sous une table, a raconté en larmes que les agresseurs «tiraient dans le tas. «C'était comme un film de voir les gens sous des pluies de balles comme ça».

«Je servais des clients quand ces hommes sont arrivés», a renchéri un autre employé, Titus Alede. «Ils ne voulaient pas d'argent, ils tiraient sur les gens sans rien demander... Ils ont dit «vous avez tué notre peuple en Somalie, c'est à votre tour de payer».

Une cible idéale et facile

Ouvert en 2007, le Westgate abrite restaurants, cafés, banques, un grand supermarché et un cinéma multiplexe qui attirent des milliers de personnes chaque jour.

Dans une capitale connue comme le «hub» de l'Afrique de l'Est, où vivent de nombreux expatriés rayonnant dans toute la région, l'endroit était régulièrement cité par les sociétés de sécurité comme une cible possible de groupes liés à Al-Qaïda comme les shebab.

Washington a dénoncé un acte «ignoble», la présidence française un «lâche attentat» unanimement condamné par le Conseil de sécurité de l'ONU.

Le vice-président William Ruto a demandé un ajournement de son procès devant la Cour pénale internationale (CPI) pour revenir gérer la crise. Sa demande devrait être examinée lundi matin.

M. Ruto est jugé pour son rôle présumé dans les violences postélectorales kényanes de fin 2007-début 2008, qui avaient fait plus de 1000 morts.

Samedi, les shebab ont expliqué sur leur compte Twitter que «ce que les Kényans voient à Westgate, c'est de la justice punitive pour les crimes commis par leurs soldats» en Somalie «contre les musulmans».

Entrée fin 2011 en Somalie, l'armée kényane se maintient dans le sud du pays dans le cadre d'une force africaine soutenant le gouvernement somalien qui a infligé de nombreuses défaites aux islamistes.

«Seuls les infidèles ont été tués», ont prétendu les shebab, affirmant que leurs «moujahidine» avaient épargné les musulmans présents sur place en les «escortant» hors du centre.

- Avec Agence France-Presse