La grâce royale accordée à un pédophile espagnol récidiviste a viré au scandale au Maroc, où Mohammed VI a dû annoncer samedi l'ouverture d'une enquête après que des milliers de personnes eurent exprimé leur colère dans plusieurs villes, bravant la répression policière.

Le souverain marocain a ordonné une enquête «en vue de déterminer les responsabilités et les points de défaillance qui ont pu mener à cette regrettable libération», a indiqué le Palais royal dans un communiqué publié samedi soir par l'agence officielle MAP.

Cette enquête devra permettre «d'identifier le ou les responsables de cette négligence afin de prendre les sanctions nécessaires», selon la même source. Le ministère de la Justice devra aussi «proposer des mesures de nature à verrouiller les conditions d'octroi de la grâce».

En outre, d'après le texte du Palais, «le roi n'a jamais été informé, de quelque manière que ce soit et à aucun moment, de la gravité des crimes abjects pour lesquels l'intéressé a été condamné».

«Il est évident que jamais le souverain n'aurait consenti» à ce que ce prisonnier «puisse arrêter de purger sa peine, au regard de l'atrocité des crimes monstrueux» commis, poursuit-il.

Des Marocains ne décolèrent pas depuis la grâce accordée mardi dernier par le roi à ce pédophile espagnol âgé d'une soixantaine d'années, condamné en 2011 à 30 ans de prison pour des viols sur onze mineurs.

Cet homme, qui aurait déjà quitté le Maroc, faisait partie d'une liste de 48 prisonniers espagnols graciés au nom de l'excellence des relations bilatérales entre le Maroc et l'Espagne, d'après des médias officiels.

La principale manifestation s'est tenue vendredi soir à Rabat, près du Parlement, où plusieurs dizaines de personnes ont été blessées, ont constaté des journalistes de l'AFP.

Mais d'autres rassemblements ont aussi eu lieu à Tanger et Tétouan (nord) vendredi, ou encore à Agadir (sud) samedi.

Des appels ont, par ailleurs, d'ores et déjà été lancés sur les réseaux sociaux pour de nouvelles manifestations mardi et mercredi, à Casablanca, la capitale économique, et Rabat.

Des versions contradictoires circulent sur la raison de la présence de ce condamné dans la liste royale.

Dénonçant un fait d'une «extrême gravité», l'opposition socialiste espagnole a exigé samedi une «explication immédiate» de Madrid.

Si les médias officiels marocains sont pour leur part restés totalement silencieux jusqu'à samedi, la presse électronique et les réseaux sociaux s'étaient en revanche rapidement fait l'écho de l'indignation de nombreux Marocains, déjà échaudés par plusieurs récentes affaires de pédophilie.

Vendredi soir, des dizaines de photos et vidéos de manifestants en sang ou matraqués par la police ont été diffusées sur internet, avec des centaines de commentaires.

«Nous réitérons le droit du peuple marocain à s'exprimer librement et à manifester pacifiquement contre» cette grâce, a commenté samedi l'Association marocaine des droits humains (AMDH, indépendant).

La classe politique, à l'inverse, a fait profil bas, à l'image du gouvernement dominé par les islamistes du Parti justice et développement (PJD).

Contacté jeudi par l'AFP, le ministre de la Justice Mustapha Ramid avait estimé qu'il n'était «pas habilité à commenter», tout en précisant que le pédophile gracié serait désormais interdit d'entrée au Maroc.

À titre individuel, un dirigeant du PJD s'est montré plus critique vendredi soir, en marge de la manifestation.

«Il faut reconnaître que la grâce de ce pédophile était une faute», a dit à l'AFP le député Abdelali Hamieddine. «Les Marocains ont le droit de manifester quand ils ressentent l'humiliation et les forces de l'ordre n'ont pas le droit d'intervenir avec autant de violence».

Lors du Printemps arabe, le Maroc est resté relativement préservé des troubles: en réaction à des manifestations, le roi a rapidement mis en oeuvre une nouvelle Constitution censée renforcer les pouvoirs du gouvernement.

Elle a été suivie par la victoire électorale du PJD, cantonné durant des décennies dans l'opposition.

Depuis son accession au poste de chef de gouvernement, le chef de ce parti, Abdelilah Benkirane, prend toutefois soin de préserver les meilleures relations avec le Palais royal.

S'il s'est peu à peu essoufflé, le mouvement pro-réformes du 20-Février, né en 2011, a continué à organiser ces derniers mois des manifestations. Il était présent vendredi soir à Rabat.