Une capitale en proie au pillage, des expatriés évacués, un chef des rebelles qui s'autoproclame président... La Centrafrique bascule depuis une semaine dans un chaos qui était malheureusement prévisible, selon les observateurs sur le terrain. Explications.

Jean-Charles Dupin ne s'attendait pas à rentrer à Montréal aussi vite. Mais en même temps, il se doutait bien, à son arrivée dans la capitale Bangui, il y a deux semaines, qu'il n'accomplirait pas le mandat de deux mois que lui avait confié l'Organisation des Nations unies en Centrafrique...

«Pour ma part, j'étais sûr que ça déboucherait sur quelque chose comme ça», a raconté hier M. Dupin joint à Yaoundé, au Cameroun, où il a été évacué lundi soir avec 250 expatriés. Depuis une semaine, les rebelles annonçaient qu'ils reprenaient les armes et avançaient vers la capitale. Dimanche, lorsqu'ils sont entrés à Bangui, le président François Bozizé a fui le pays.

Depuis, Bangui est livré au pillage. Les bureaux des principales organisations non gouvernementales (UNICEF, Programme des Nations unies pour le développement, Médecins sans frontières...), de même que des résidences du personnel et des commerces locaux ont été mis à sac. «Le pillage a d'abord été fait par les militaires du Séléka, qui ont pris le plus gros, dit M. Dupin. Puis, ils ont été suivis par des civils, qui ont profité des portes défoncées pour s'emparer du reste.»

Hier, c'était toujours le chaos à Bangui. Selon l'Agence France-Presse (AFP), les habitants étaient terrés chez eux et les vivres commençaient à manquer. «Il y a un nombre important de blessés et de morts», a déclaré à l'AFP un représentant de la Croix-Rouge.

Nouveau président

Ces scènes de pillage ont été dénoncées hier, notamment par Paris et Washington, qui ont réclamé des explications à la coalition armée Séléka et à son chef, Michel Djotodia.

«La responsabilité du retour au bon ordre et à la sécurité repose sur les épaules de Djotodia», explique Thierry Vircoulon, de l'International Crisis Group, joint hier à Nairobi, au Kenya. «Ça sera un vrai test de crédibilité pour lui de rétablir la sécurité dans Bangui. Ça sera aussi un test de la cohésion de la Séléka.»

L'homme est un ancien fonctionnaire qui s'est joint à la rébellion en 2005. Depuis lundi, il a suspendu la Constitution du pays, dissout l'Assemblée nationale et le gouvernement, puis annoncé qu'il allait légiférer par ordonnances en attendant «des élections libres, crédibles et transparentes», en 2016.

Il a aussi assuré qu'il allait «respecter l'esprit des accords de Libreville» en reconduisant dans ses fonctions le premier ministre. Ces accords de paix, signés le 11 janvier à Libreville, ont mis en place un gouvernement dit «d'unité nationale», composé de membres du clan du président Bozizé, de la rébellion et de l'opposition. Mais les rebelles, qui reprochent au régime de ne pas avoir respecté cet accord, ont repris les armes la fin de semaine dernière.

Le projet de Djotodia suscite le scepticisme... «Dans une entrevue à RFI, Michel Djotodia a dit qu'il serait président jusqu'aux prochaines élections en 2016, et peut-être au-delà», indique Jean-Charles Dupin. «Alors, déjà, il y a un problème, parce que l'accord de Libreville prévoit que ceux qui en font partie ne pourront en aucun cas prétendre être reconduits dans leurs fonctions.»

Pour Thierry Vircoulon, la chute de Bangui est aussi l'échec de la diplomatie sud-africaine. Treize soldats sud-africains envoyés à Bangui pour maintenir la paix ont été tués dimanche. «Pretoria a tenté de jouer au gendarme en Centrafrique, sans bien apprécier le fait que les rebelles étaient plus fort qu'ils le pensaient, et que personne ne se battrait pour le président Bozizé. Ni son armée, qui a disparu, ni les Casques bleus africains déployés dans la région. C'est une leçon extrêmement amère.»

-Avec AFP

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«Malgré la richesse de leur sous-sol, certaines régions diamantifères de la République centrafricaine (RCA) restent frappées du sceau de l'extrême pauvreté et d'une violence à répétitions. Une apparente fatalité contre laquelle le président François Bozizé n'a jusqu'ici pas tenté de lutter de façon rigoureuse. Sa mainmise sur le secteur du diamant renforce son pouvoir et favorise l'enrichissement d'une minorité, mais ne contribue pas à atténuer la pauvreté de milliers de mineurs informels. L'effet conjugué d'un Etat prédateur, de la criminalité et de l'extrême pauvreté aboutit à des cycles de violence, en incitant les factions politiques rivales à entrer en rébellion tout en leur permettant de tirer profit du commerce illégal des diamants.»

- Analyse de l'International Crisis Group en décembre 2010