Uhuru Kenyatta, inculpé de crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale (CPI), a été élu président du Kenya au 1er tour avec 50,03 % des voix, selon des résultats provisoires diffusés dans la nuit de vendredi à samedi par la Commission électorale.

M. Kenyatta, soupçonné d'avoir joué un rôle dans l'organisation des violences consécutives au précédent scrutin fin 2007, a recueilli 6 173 433 voix sur un total de 12 338 667 bulletins, soit très légèrement plus que la majorité absolue requise, selon un total diffusé sur les écrans de la commission électorale, mais non encore officiellement entériné par cette dernière.

La commission électorale avait annoncé plus tôt, par la voix d'un de ses responsables, qu'elle communiquerait samedi vers 11 h locales (3 h HE) les résultats officiels du scrutin qui s'est tenu lundi.

Mais des agents de la commission ont ensuite continué à annoncer les résultats des dernières des 291 circonscriptions du pays, qui se sont affichés automatiquement jusqu'à parvenir à un total donnant à M. Kenyatta, vice-premier ministre sortant, un score de 4.099 voix au-dessus de la majorité absolue.

Son principal adversaire, le premier ministre Raila Odinga, a obtenu 43,28% des voix avec un total de 5 340 546 voix.

La précédente défaite de M. Odinga, en décembre 2007, avait plongé le pays dans plusieurs semaines de violences sans précédent depuis l'indépendance en 1963, avec plus de 1000 morts et plus de 600 000 déplacés.

Le président sortant Mwai Kibaki -- qui, à 81 ans, ne se représentait pas cette année -- l'avait alors emporté de justesse, à l'issue d'un scrutin au dépouillement opaque et contesté.

Uhuru Kenyatta était alors un soutien clé de Mwai Kibaki, issu comme lui de la communauté Kikuyu, la plus importante du pays -- et la plus influente économiquement -- avec 17% des 41 millions d'habitants.

M. Kenyatta est inculpé de crimes contre l'humanité par la CPI pour son rôle présumé dans les massacres d'il y a cinq ans, notamment pour avoir mobilisé le groupe criminel des Mungiki à la rescousse de sa communauté, des accusations qu'il réfute en bloc.

Le Kenya a attendu dans le calme le résultat du scrutin de lundi, marqué par un taux de participation record avoisinant a priori les 85%, selon les chiffres diffusés par la commission.

Il reste à voir comment les partisans de M. Odinga -- et notamment sa communauté d'origine, les Luo -- allaient réagir à l'annonce de ce nouvel échec de l'intéressé.

Le camp Odinga a d'ores et déjà dénoncé des «résultats trafiqués», des accusations catégoriquement rejetées par la commission électorale, mais qui laissent la porte ouverte à un éventuel recours juridique.

Un tribunal kényan, saisi par des associations pour faire cesser le décompte, s'était déclaré incompétent dans la journée de vendredi.

Confrontée à divers cafouillages et pannes techniques, la Commission électorale (IEBC) a été sous le feu des critiques depuis le scrutin de lundi.

Arrivé en troisième position, très loin derrière les deux premiers, l'autre vice-premier ministre sortant Musalia Mudavadi a appelé MM. Kenyatta et Odinga à accepter l'issue du scrutin quelle qu'elle soit.

«J'ai souligné auprès d'eux que le calme actuel était très précaire et qu'il dépendait entièrement de leur capacité à contrôler les émotions de leurs partisans au moment de l'annonce finale» des résultats.

L'ouverture du procès de M. Kenyatta à La Haye vient d'être reportée du 11 avril au 9 juillet, en raison «d'importantes questions» soulevées par la défense qui invoque de nouveaux éléments au dossier, selon la CPI.

«Il n'y a absolument aucun lien» entre la date d'ouverture du procès de M. Kenyatta et les élections au Kenya, avait indiqué jeudi à l'AFP Fadi el-Abdallah, porte-parole de la Cour.

Si les résultats provisoires annoncés sont bien entérinés, M. Kenyatta est la première personnalité politique inculpée par la CPI qui deviendrait chef de l'État avant l'ouverture de son procès, ce qui créerait une situation politique et juridique inédite.

La CPI a déjà inculpé en 2009 un chef d'État, le soudanais Omar el-Béchir, accusé de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre au Darfour (ouest du Soudan), mais M. Béchir était alors déjà au pouvoir depuis vingt ans.

Le président soudanais n'a toujours pas été interpellé, mais ne peut se rendre dans de nombreux pays au risque d'être arrêté.

M. Kenyatta a assuré que, même élu, il assisterait à La Haye à son procès, qui pourrait durer au moins deux ans, en dépit des difficultés à concilier cette obligation avec ses fonctions. Aucun mandat d'arrêt ne sera réclamé contre lui tant qu'il collaborera avec la CPI, avait expliqué fin 2012 sa procureure, Fatou Bensouda.