Mopti est la dernière ville contrôlée par le gouvernement malien avant la partie nord du pays où les islamistes appliquent une version stricte de la charia. Notre correspondant nous raconte une ville fantôme qui, dans l'attente d'une intervention militaire internationale, vit dans l'angoisse.

Hamar Ibrahim Touré navigue sur le fleuve Niger dans une pinasse, un long bateau traditionnel. «Tout est arrêté. Rien ne circule sur le fleuve», raconte le batelier.

Mopti, la «Venise malienne», est le plus important port du Mali. Mais, depuis que les islamistes ont pris le contrôle de près des deux tiers du territoire malien, les bateaux restent arrimés. L'armée a érigé un barrage sur le fleuve juste après Mopti pour contrôler les dernières embarcations qui circulent. «Le fleuve est mort», commente M. Touré.

En plus de perdre les revenus du transport fluvial, Mopti a aussi perdu ceux du tourisme. Avant qu'Al-Qaïda kidnappe des touristes, le Mali recevait près de 200 000 touristes par année dont la plupart transitaient par Mopti. «Je n'ai eu aucun client depuis des mois. Avant, j'en avais souvent 10 par jour», explique Amadou Guindo, un guide qui emmenait les touristes dans la vieille ville en terre.

Jadis, un voyagiste affrétait des vols directs Paris-Mopti. Désormais, les rares avions qui atterrissent à l'aéroport acheminent l'aide humanitaire. Les hôtels et les restaurants sont fermés. Dans la région, ils ne seraient que quatre Occidentaux à être restés, bravant les alertes des ambassades qui découragent fortement leurs ressortissants de s'y rendre.

Entre l'arbre...

Les Nations unies ont autorisé, le 20 décembre dernier, le déploiement d'une force internationale au Mali pour chasser les islamistes. La région de Mopti deviendra le front d'une éventuelle offensive. La région s'y prépare. Déjà, le nouvel hôpital régional, inauguré il y a à peine quelques mois, multiplie les exercices pour se préparer à recevoir les blessés.

La présence militaire a été renforcée et plusieurs groupes paramilitaires pour aider à la reconquête du nord se sont établis dans la région. Cette présence inquiète les habitants plus qu'elle ne rassure.

Il est 19 h. Ousmane Sidibé, 19 ans, rentre chez lui. Plus question de traîner avec ses amis. «La vie se poursuit. Mais on rentre tôt. Les militaires demandent nos papiers. On n'est pas tranquilles. Il y a trop de rumeurs», explique le jeune homme. Ces rumeurs parlent de trafic d'armes, de disparitions, de violences, de menaces d'attentat.

«Nous avons documenté le meurtre de cinq personnes en avril dernier», indique Corinne Dufka, chercheuse pour l'organisation non gouvernementale (ONG) Human Right Watch au Mali. «Ceux qui viennent du nord sont rigoureusement fouillés. Quand ils passent les contrôles et qu'ils ne peuvent pas présenter de papiers d'identité, ils sont arrêtés et questionnés.»

Selon Mme Dufka, les rumeurs de disparition ne sont pas forcément fondées. Elles soulignent quand même le climat tendu dans la région. «Le gouvernement n'a pas enquêté sur le meurtre de 16 religieux musulmans en septembre et celui de 8 éleveurs touaregs en octobre. Cette absence de réponse contribue sans doute au climat de peur.»

... et l'écorce

Malgré la présence de l'armée, les habitants n'oublient pas que les islamistes ne sont qu'à quelques kilomètres.

À l'Église évangélique protestante, une des trois églises chrétiennes de Mopti, une centaine de fidèles célèbre la messe. Au printemps dernier, ils avaient été des milliers de chrétiens à fuir les islamistes.

«Nous avons eu très peur à ce moment-là. J'ai envoyé ma famille à Bamako», explique le pasteur Luc Sagara. Depuis, sa famille est revenue. Mais comme plusieurs chrétiens du nord réfugiés à Mopti, il craint une avancée islamiste. «Nous prions. Que faire d'autre?», demande un fidèle qui a fui Tombouctou.

Les musulmans vivent aussi dans la crainte, échaudés par les histoires d'atrocités commises par les islamistes: amputations, lapidations, lacérations.

Baba Touré, conseiller du chef de la vieille ville de Mopti, montre fièrement la mosquée en terre, un joyau architectural récemment rénové. «Je crains que notre mosquée ne soit détruite comme l'ont été les mausolées de Tombouctou. C'est un symbole de Mopti.»

Lui aussi attend en priant.