La Cour pénale internationale a acquitté mardi l'ancien chef de milice congolais Mathieu Ngudjolo Chui de crimes contre l'humanité et crimes de guerre, l'accusation n'ayant pu prouver qu'il avait dirigé l'attaque en 2003 d'un village de République démocratique du Congo ayant fait plus 200 morts, mais le procureur compte interjeter appel.

Les juges n'ont pas pu conclure, au vu de l'ensemble des éléments de preuves figurant au dossier, que «l'accusé était le chef des combattants Lendu ayant participé à l'attaque de Bogoro le 24 février 2003»,  dans le nord-est de la RDC, a déclaré le juge Bruno Cotte à La Haye, siège de la CPI.

Les trois témoins clés de l'accusation n'étaient pas crédibles et leurs déclarations ont une «très faible valeur probante», a notamment soutenu Bruno Cotte.

Lors d'une audience en début d'après-midi, les juges ont entendu les arguments du bureau du procureur et de la défense sur une possible libération de M. Ngudjolo.

«Vous vous êtes trompés, vous avez fait des erreurs en droit et en fait», a déclaré à la chambre Eric MacDonald, du bureau du procureur, assurant qu'il allait certainement faire appel et évoquant des «risques de fuite», que M. Ngudjolo devait être maintenu en détention.

Selon la défense, un appel du procureur serait un «fol appel», sans aucune probabilité de réussite. «M. Ngudjolo ne peut pas se soustraire à la justice, il n'y a aucun risque d'évasion», a soutenu l'un des avocats de la défense, Jean-Pierre Fofé, rappelant que d'autres accusés de la Cour comparaissent libres.

Le procureur de la CPI, Fatou Bensouda a la possibilité de faire appel de la décision des juges sur la remise en liberté de M. Ngudjolo Chui, 42 ans, qui sera rendue «à partir de 17 h» (11 h à Montréal) mardi.

C'est le premier acquittement prononcé par la Cour, qui n'avait à ce jour mené qu'un seul procès à terme, celui du chef de l'Union des patriotes congolais (UPC) de Thomas Lubanga, une milice ennemie de celle de Mathieu Ngudjolo Chui. M. Lubanga avait été condamné à 14 ans de prison.

Après la conclusion de l'audience, les avocats de la défense ont échangé de chaleureuses poignées de mains. L'un d'eux, Jean-Pierre Kilenda, a déclaré à des journalistes que la Cour avait montré qu'elle «respectait les droits» des accusés.

«Le gouvernement (de RDC) ne peut que prendre acte d'une décision de justice. Nous n'avons pas à commenter dans un sens ou dans un autre», a quant à lui réagi très sobrement Lambert Mende, porte-parole du gouvernement congolais, à Kinshasa, dans une déclaration à l'AFP.

Ancien dirigeant présumé du Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI), une milice congolaise, Mathieu Ngudjolo était accusé d'avoir voulu «effacer totalement» la population du village de Bogoro, dans la région de l'Ituri.

Selon l'accusation, des combattants des ethnies Lendu et Ngiti du FNI, en collaboration avec des hommes de la Force de résistance patriotique en Ituri (FRPI), une autre milice, avaient attaqué le village, tuant plus de 200 personnes.

Le verdict de mardi «prive les victimes de Bogoro du sentiment justice», a regretté devant l'AFP Géraldine Mattioli-Zeltner, du programme Justice Internationale de l'ONG Human Rights Watch.

Eric Witte, expert en droit international à l'ONG Open Society Justice Initiative, a assuré que cet acquittement envoyait «un signal inquiétant» sur la qualité des enquêtes menées par l'accusation.

Au centre de Bogoro, village de l'ethnie Hema, se trouvait un camp de l'UPC, mais selon l'accusation, l'attaque visait également la population civile.

Les assaillants avaient selon l'accusation «utilisé des enfants soldats et tué plus de 200 civils en quelques heures, ils ont violé des femmes, des filles et des femmes âgées».

Les juges ont soutenu qu'ils ne pouvaient «exclure que l'accusé ait été lors des faits l'un des commandants ayant occupé une place militaire importante», mais les preuves rassemblées par l'accusation, ont-ils ajouté, n'étaient pas en mesure de l'établir.

Les affrontements inter-ethniques entre milices qui se disputaient les terres de cette région riche en ressources naturelles, dont l'or ou le pétrole, avaient débuté en 1999 et ont, selon l'accusation, «dévasté» la zone. Selon les ONG, ces violences ont fait plus de 60 000 morts.

Le procès de M. Ngudjolo s'était tenu en commun  avec celui d'un chef de milice présumé des FRPI, son allié à Bogoro, mais les affaires avaient été disjointes en novembre et le jugement contre cet autre chef de milice sera rendu en 2013.