Après huit mois de crise, les Maliens ont déserté le nord du pays, dorénavant sous la coupe des islamistes. Pour les Touaregs, dont plusieurs se retrouvent aujourd'hui dans des camps de réfugiés au Burkina Faso et ciblés par une «chasse aux peaux claires», un éventuel retour semble plus lointain que jamais.

Matata Walet Ali, Touarègue malienne, a tout abandonné pour se réfugier dans un camp, le coeur lourd. «On avait peur de nos voisins. Le jour de notre fuite, il y avait une chasse organisée: les enfants lançaient des pierres aux gens à la peau claire. On est partis de justesse. Les rumeurs disaient qu'ils allaient tout casser.»

Depuis février dernier, le Mali a sombré dans une crise en trois actes. D'abord, une rébellion touarègue a été menée par d'anciens combattants de retour de Libye. Puis, un coup d'État dans la capitale, Bamako, a précipité la victoire de ces rebelles dans le nord du Mali. Enfin, des islamistes, soutenus par Al-Qaïda, ont chassé les rebelles touaregs et dominent maintenant près des deux tiers du territoire malien.

Matata est partie pour le Burkina Faso avant le début des combats, avant, aussi, que les islamistes ne commencent à imposer leur vision de la charia, coupant les mains des voleurs et lapidant les couples non mariés. Comme plus de 100 000 Maliens d'origine arabe et touarègue, les «peaux claires», la trentenaire a fui par crainte des exactions des autres communautés.

Mohamed ag Mohameddine aussi a fui. Il n'a pas attendu de voir ce qui allait se passer. Dès qu'il a entendu qu'une rébellion avait éclaté, il a emmené ses sept enfants dans le camp qui l'avait accueilli lors des rébellions précédentes.

«J'ai pensé aux massacres des années 90. On a vu ce qui s'est passé. Il fallait fuir», explique le Touareg dans sa tente traditionnelle recouverte d'une bâche de l'ONU, au coeur du camp de Mentao. Depuis l'indépendance du Mali, en 1960, les Touaregs ont fréquemment pris les armes pour lutter contre la marginalisation dont ils se disent victimes. Les rébellions se sont suivies, mais jamais les Touaregs n'étaient allés aussi loin qu'en mars dernier. Des leaders ont alors déclaré unilatéralement leur indépendance, avant de se faire déloger.

Alors que la communauté internationale s'apprête à aider le Mali à reprendre militairement le Nord, les Touaregs ont été écartés des pourparlers. Leur retour n'est vraisemblablement pas pour demain.

Radwane Ag Ayouba est amer. «J'ai tout perdu», lance le notable de Tombouctou. M. Ag Ayouba, âgé de 79 ans, raconte un trajet épuisant d'environ 500 km pour rejoindre le camp, ponctué de pots-de-vin et de menaces. Ce n'est pas un Azawad indépendant ni un État islamique qu'il veut. Ses demandes sont beaucoup plus terre à terre: «Je veux retrouver mon bétail, mes terres, mon commerce.»

D'autres, comme Aoug Ag Maïga, continuent de rêver à un État. «Nous ne sommes pas racistes. Dans un véritable État de droit et d'égalité, on pourrait bien vivre ensemble, au Mali», explique l'ex-garde forestier.

Il se sent trahi par les islamistes qui, selon lui, ont acheté le soutien de certains Touaregs. «C'est chez nous. C'est nous, les enfants du désert. Tous ces gens sont des étrangers. Plusieurs les ont suivis parce que c'était le seul moyen de nourrir leur famille.»

Car ce que voulaient les Touaregs n'était pas tant un État qu'un peu de dignité. Un rebelle touareg rencontré dans le camp a tenté de nous convaincre du contraire. Mais le discours politique sonne creux lorsque l'émissaire, bien habillé, quitte le camp dans une vieille Mercedes, laissant les autres faire la queue pour leur ration alimentaire.

Une crise «très grave» 

Les 14 camps de réfugiés maliens au Burkina Faso sont situés dans une région aride et désertique. Deux camps étaient inaccessibles lors du passage de La Presse. Tout manque: eau, nourriture, infrastructures. 

«La crise des réfugiés, malgré la générosité des Burkinabés, est un poids très lourd. Nous devons aussi assister les populations locales, qui vivent une crise alimentaire très grave», explique Ibrahima Coly, représentant du Haut-Commissariat pour les réfugiés de l'ONU (UNHCR).

Et la véritable crise est peut-être à venir. L'UNHCR est en état d'alerte alors que la situation au Mali reste volatile. «Nous sommes très préoccupés. Le problème n'est pas réglé, au Mali.» Le représentant craint une nouvelle vague de réfugiés blessés et souffrant de malnutrition. Déjà, l'ONU estime que, si de nouveaux fonds ne sont pas débloqués, les réfugiés du camp manqueront de nourriture dans les prochaines semaines.