En prenant le contrôle du Nord-Mali en début d'année, le mouvement islamiste Ansar Dine en a laissé plus d'un pantois. Que veut ce mouvement qui a depuis coupé le Nord-Mali du reste du monde? Et pourquoi applique-t-il la version la plus stricte de la charia? Dans une entrevue exclusive, notre collaborateur a posé ces questions au chef d'Ansar Dine de Tombouctou.

«Nous avons bien coupé la main d'un voleur, flagellé des buveurs d'alcool, lapidé un couple non marié et détruit les mausolées qui sont une hérésie contraire à ce qu'est le vrai islam.» Senda Ould Bouamama, alias Abou Mohammed, porte-parole et principal chef dans la région de Tombouctou du mouvement islamiste Ansar Dine, ne fait pas dans la dentelle. «Que cela choque ou pas n'est pas notre souci», affirme-t-il.

L'homme d'une quarantaine d'années, jadis emprisonné autant en Mauritanie qu'au Mali parce qu'il était soupçonné de liens avec Al-Qaïda, est convaincu du bien-fondé des actions d'Ansar Dine - ou les Partisans de la religion - qui, après avoir aidé les indépendantistes touaregs du Mouvement national de l'Azawad (MNLA) à chasser l'armée malienne du nord du pays, les ont supplantés.

Aujourd'hui, Ansar Dine règne en maître sur le nord du Mali, un immense territoire désertique, deux fois grand comme la France.

Dans un entretien téléphonique de près de deux heures avec La Presse, le chef islamiste originaire de Tombouctou affirme que l'application de la charia ne peut faire l'objet d'aucun compromis de la part de son mouvement.

«C'est une question que nous ne discutons même pas. Rien ne nous déviera de cette voie. Même si toutes les forces du monde viennent pour nous en empêcher, elles n'y parviendront jamais», soutient Abou Mohamed, qui jure que son mouvement est prêt à combattre n'importe quelle force qui tenterait de s'opposer à son projet islamique.

«Nous sommes en mesure de faire face à n'importe quel ennemi», dit-il, soulignant toutefois qu'il ne croit guère à la probabilité d'une intervention étrangère dans le nord du Mali. «Les pays occidentaux ont tiré les leçons de leurs interventions en Irak et en Afghanistan, dont ils commencent déjà à se retirer, et les pays africains ont échoué dans toutes leurs interventions militaires, comme on le voit actuellement en Somalie. Ils sont assez intelligents pour ne pas prendre le risque de se voir ridiculiser une nouvelle fois en terre d'islam», confie Abou Mohamed. Toutefois, il serait prêt à accueillir «tout musulman quel que soit son pays d'origine dans les rangs d'Ansar Dine».

Cela ne renforce-t-il pas les soupçons de collusion entre les islamistes maliens et d'autres groupes djihadistes actifs dans le Sahel africain, comme Al-Qaïda du Maghreb islamique (AQMI) ou les Nigerians de Boko Haram? «Nous sommes des organisations distinctes, mais nous sommes tous des mouvements salafistes qui se considèrent comme des soldats du djihad, et ce dernier est un devoir pour tout musulman. Tout frère qui veut s'acquitter de cette obligation peut donc venir se joindre à nous. Nos bras sont ouverts à celui qui veut devenir un soldat du djihad», affirme le leader islamiste.

Craint-il que cette proximité entache l'image de son mouvement auprès des opinions malienne ou internationale, qui redoutent la transformation du nord du Mali en un nouvel Émirat islamiste sur le modèle de l'Afghanistan du temps des talibans? «L'expérience de l'Émirat islamique des talibans en Afghanistan est bien notre modèle», précise Abou Mohamed sans détour.

«Le seul avis qui nous importe est celui d'Allah. Le reste n'a aucune importance pour nous, y compris ce que les médias appellent la communauté internationale. Son avis et ses préoccupations ne nous concernent en rien. Que le monde entier soit contre nous nous laisse indifférents», poursuit le chef islamiste Il ajoute que son mouvement ne reconnaît d'ailleurs ni les lois ni l'ordre international, qu'il qualifie de «système colonial mécréant du joug duquel il faut absolument arracher tous les musulmans».

Est-ce à dire qu'après le nord du Mali, Ansar Dine et leurs alliés djihadistes envisagent d'exporter leur projet islamique vers d'autres pays de la région? «Pour l'instant, nous travaillons à consolider notre présence dans les régions que nous contrôlons déjà, affirme le chef islamiste. Mais en principe, le djihad ne connaît pas de frontières étatiques.»