Le premier ministre éthiopien Meles Zenawi, décédé dans la nuit de lundi à mardi, était un ex-chef de guérilla, considéré comme un autocrate par ses adversaires et comme un visionnaire par ses partisans, un peu à l'image des empereurs historiques d'Éthiopie.

Meles est mort lundi vers minuit après avoir contracté une infection, selon la télévision publique. Meles Zenawi n'était plus apparu en public depuis environ deux mois. Mi-juillet, son absence lors d'un sommet des chefs d'État et de gouvernement de l'Union africaine à Addis Abeba avait entraîné des rumeurs sur son état de santé. Les autorités éthiopiennes avaient affirmé que le Premier ministre était «en très bonne» santé et reprendrait bientôt ses fonctions.

Hailemariam Desalegn, qui avait été nommé vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères en 2010, dirige désormais le gouvernement.

Âgé de seulement 57 ans, M. Meles était seul maître à bord de son pays depuis 21 ans. Cet homme austère était entré dans le club fermé des dirigeants africains en poste depuis plus de deux décennies après une victoire écrasante aux élections de 2010 -- il avait alors raflé 99% des voix.

Poids lourd parmi les dirigeants africains, M. Meles avait pris le pouvoir en Éthiopie en 1991, à la tête d'une guérilla qui venait de faire tomber le régime du dictateur Mengistu Hailé Mariam.

Il n'a pas 25 ans quand il est porté par ses compagnons d'armes en haut de la hiérarchie du FLTP (Front de libération du peuple du Tigré) en 1979, cinq ans seulement après avoir abandonné ses études de médecine pour rallier la rébellion tigréenne du nord du pays.

Né le 8 mai 1955 à Adoua (nord), Meles Zenawi a d'abord occupé les fonctions de président de la République (1991-1995), avant le changement de Constitution qui a fait de l'Éthiopie un pays doté d'un régime parlementaire.

Il faisait partie, avec le Rwandais Paul Kagame et l'Ougandais Yoweri Museveni, de cette génération de dirigeants africains arrivés au pouvoir à la fin des années 1980 et au début des années 1990, en qui le président américain de l'époque Bill Clinton voyait les possibles «dirigeants de la Renaissance» africaine.

M. Meles avait au fil des ans fait de son pays un allié-clé des États unis dans la lutte contre l'extrémisme islamiste dans la Corne de l'Afrique.

Un analyste s'exprimant sous couvert d'anonymat estimait récemment que M. Meles, «lecteur assidu de The Economist et des rapports de la Banque mondiale», avait «acquis toutes les astuces des grands donateurs», parlait comme eux, ce qui lui donnait «une crédibilité très forte».

Sûr de lui, décrit comme fin mais parfois hautain, M. Meles n'est, contrairement à nombre de ses pairs africains, jamais passé pour un amoureux du luxe, au train de vie ostentatoire.

«C'est le dernier empereur d'Éthiopie», a aussi dit de lui y a quelques années un ancien diplomate éthiopien. «Pour Meles Zenawi, le pouvoir continue d'être une sorte de mythe, avec une réelle dimension mystique même, parce qu'il est dans le même cas de figure que ces empereurs du passé, arrivés au pouvoir par les armes, et parce qu'il dégage cette aura du pouvoir.»

Cet homme de petite taille, dégarni, au visage rehaussé de lunettes et d'un bouc, a de fait mené une série de réformes économiques dans son pays: l'Éthiopie s'enorgueillit de flirter, depuis la fin de la dernière décennie, avec une croissance économique à deux chiffres.

Homme de dossiers

Réputé maîtriser ses dossiers, Meles Zenawi a aussi joué, à la fin de la dernière décennie, le rôle de négociateur en chef du continent sur le changement climatique. Et depuis 2007, il était président du Nepad, le Nouveau partenariat pour le développement en Afrique.

Malgré tout, l'Éthiopie, que M. Meles continuait de diriger d'une main de fer, demeure l'un des pays les plus pauvres du monde. Sa population, notent les observateurs, n'a pas toujours bénéficié des programmes de développement qui ont pu servir l'image du leader à l'étranger: le monde rural sent notamment encore peu les effets des plans massifs d'électrification régionale.

Le pays est aussi régulièrement accusé de violations flagrantes des droits de l'homme contre les groupes d'opposition ou les journalistes.

Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a accusé récemment M. Meles d'utiliser «la lutte contre le terrorisme comme couverture pour faire taire des voix dissidentes pacifiques». Plusieurs journalistes étrangers et éthiopiens ont récemment été condamnés en vertu d'une loi sur le «terrorisme».

Avant les dernières législatives en 2010, M. Meles - marié à Azeb Mesfin, une ancienne combattante rencontrée dans le maquis, et père de deux (bien DEUX) filles et un fils - avait affirmé à plusieurs reprises ne pas souhaiter être candidat. Son parti l'avait officiellement «obligé» à se représenter.

Ses mandats resteront notamment marqués par une guerre frontalière très meurtrière avec l'Érythrée entre 1998 et 2000 et deux interventions militaires en Somalie -- la première de fin 2006 à début 2009, la deuxième depuis fin 2011.

M. Meles n'était plus apparu en public depuis juin.

Avec Sipa