L'attaque de vendredi contre un camp de déplacés dans l'ouest de la Côte d'Ivoire montre que cette région reste une poudrière après les tueries de la crise de 2010-2011, et souligne l'urgence d'une réforme des forces de sécurité.

Au moins onze morts selon l'ONU, 13 d'après des sources locales: c'est le bilan des dernières violences à Duékoué. La mort de quatre personnes, tuées apparemment par des braqueurs dans un quartier de la ville, a déclenché vendredi une expédition punitive contre le camp de déplacés voisin. Sept à neuf déplacés ont été tués, le camp incendié, les Casques bleus chargés de le garder sont restés impuissants.

«À Duékoué, les jours passent et se ressemblent», notait samedi le quotidien d'État Fraternité-Matin, en référence à l'insécurité endémique et aux tensions entre ethnies: Malinké (originaires du nord) d'un côté, réputés favorables au président Alassane Ouattara, et Guéré de l'autre, autochtones vus comme partisans de l'ex-chef de l'État Laurent Gbagbo.

Duékoué est une cité martyre de la crise postélectorale de décembre 2010-avril 2011. Sur les quelque 3.000 morts pendant cette crise, la ville et sa région en ont compté plusieurs centaines. Les forces pro-Ouattara y ont été gravement mises en cause.

Une «poudrière»: l'expression revient chez les spécialistes à propos de Duékoué, et de l'Ouest en général.

Depuis des années, les communautés s'affrontent sur fond de conflits fonciers dans cette grande zone de cacao, dont le pays est premier producteur mondial.

La crise postélectorale, comme des incidents ponctuels, ne font qu'exacerber les divisions. «Ici, lorsqu'il y a une crise, les ethnies se l'approprient», se lamentait vendredi le père Cyprien Ahouret, curé de la mission catholique de Duékoué.

Mais la situation est devenue récemment encore plus explosive.

Immigrés burkinabés et «dozos»

«On observe dans l'Ouest un mouvement important d'immigration de Burkinabè», attirés par les immenses richesses agricoles, explique à l'AFP une source onusienne.

Ce flux n'est pas nouveau mais, selon plusieurs sources proches du dossier, il ne cesse de grossir, alimentant un très fort ressentiment parmi les Guéré.

D'autant qu'au nord du Duékoué, dans la zone forestière du Mont Péko, un chef de guerre burkinabée du nom d'Amadé Ouéremi règne en maître. De nombreuses exactions sont imputées à ses hommes, accusés d'avoir pris part aux massacres de Duékoué de mars 2011.

Le camp Gbagbo avait d'ailleurs pointé ces «mercenaires» en juin après une série d'attaques plus au sud, près de la frontière avec le Liberia, qui avaient fait plus d'une vingtaine de morts, dont sept Casques bleus nigériens. Le gouvernement avait, lui, mis en cause des combattants pro-Gbagbo basés de l'autre côté de la frontière, une piste largement privilégiée.

Le drame de Duékoué met aussi en exergue le problème des Forces républicaines (FRCI), la nouvelle armée ivoirienne intégrant de nombreux ex-rebelles nordistes, et de leurs supplétifs «dozos», des chasseurs traditionnels. Des FRCI et des «dozos» ont participé à l'attaque contre le camp vendredi, selon des sources locales.

«Les autorités militaires et politiques n'ont aucune action sur ces gens qui peuvent faire des représailles comme ils veulent», souligne un bon connaisseur de la scène ivoirienne.

De même que, durant la décennie Gbagbo, des milices guéré faisaient la loi dans la région, les «dozos», estimés à plusieurs milliers, «deviennent une armée parallèle civile», s'alarme la source onusienne.

Une réforme nationale de l'armée est chaque jour plus nécessaire, alors que M. Ouattara s'est attribué le portefeuille de la Défense. Un vrai programme de désarmement, démobilisation et réinsertion des ex-combattants de la crise (en particulier les anciens rebelles) se fait toujours attendre, retardant la refonte des forces.

Ces dernières semaines, «des schémas de réorganisation de l'armée ont été présentés au président Ouattara, il doit trancher», affirme une source militaire occidentale. «C'est l'heure de vérité».