En se lançant dans la course à la présidence égyptienne, les Frères musulmans, déjà forts du contrôle du Parlement, affichent une ambition de contrôle total du pouvoir en Égypte, mais ce pari pourrait se révéler difficile, estiment des experts.

Le mouvement islamiste a annoncé samedi soir la candidature de son «numéro deux», Khairat al-Chater, riche homme d'affaires considéré comme le premier financier de la confrérie et son éminence grise politique.

L'annonce bouleverse la donne politique à moins de deux mois du premier scrutin présidentiel depuis la chute de Hosni Moubarak en février 2011, dont le premier tour est prévu les 23 et 24 mai.

«Les Frères musulmans essaient d'avoir tous les outils du pouvoir dans le pays, il n'est donc pas étonnant qu'ils aient un candidat», affirme à l'AFP Moustafa Kamel Sayed, professeur de sciences politiques à l'université du Caire.

«Puisqu'ils ont gagné les législatives, on peut penser (...) qu'ils ont de bonnes chances de se retrouver au second tour» de la présidentielle, ajoute-t-il.

Mais pour le politologue et éditorialiste Hassan Nafea, la bataille s'annonce rude pour les Frères, dont la volonté hégémonique de plus en plus évidente «peut s'avérer très dangereuse et conduire à une polarisation» du pays.

«Ils vont être perçus comme voulant contrôler tout l'appareil d'État, en reniant leurs promesses de coopérer, pas de dominer», ajoute-t-il.

Pendant des mois, les Frères ont assuré vouloir soutenir un candidat d'union, compatible avec leurs idées, mais pas affilié à leur formation, afin de ne pas donner le sentiment de vouloir accaparer le pouvoir.

Leur revirement a été précédé de plusieurs jours de débats internes houleux.

L'annonce de cette candidature survient de surcroît dans un climat de crise autour de la commission de rédaction de la future Constitution, boycottée par les partis laïques qui accusent les Frères de monopoliser cette instance en s'alliant pour la circonstance aux fondamentalistes salafistes.

La confrérie a expliqué son choix de se lancer dans la présidentielle par sa frustration de voir les militaires -qui dirigent le pays depuis la chute du président Moubarak- de refuser de révoquer le premier ministre Kamal al-Ganzouri, issu de l'ancien régime.

Le secrétaire général de la confrérie, Mahmoud Hussein, a aussi estimé que «la révolution et le processus démocratique sont réellement menacés» par la présence à la présidentielle de candidats issus de l'ancien pouvoir.

Parmi eux, le populaire ancien chef de la Ligue arabe, Amr Moussa, ex-ministre des Affaires étrangères de M. Moubarak, ou encore le dernier Premier ministre du raïs déchu, Ahmad Chafic.

Des rumeurs selon lesquelles l'ancien chef des services secrets de Hosni Moubarak et longtemps ennemi juré des islamistes, Omar Souleimane, pourrait se présenter, ont également pu aviver les inquiétudes de la confrérie.

Des candidats islamistes ont par ailleurs déjà engagé sur le terrain des campagnes très actives qui lui font de l'ombre. C'est notamment le cas du salafiste Hazem Abou Ismaïl, dont les réunions font salle pleine, ou Abdelmoneim Aboul Fotouh, un ancien dirigeant des Frères musulmans, exclu, mais populaire parmi les jeunes du mouvement.

«En désignant un candidat malgré leurs promesses de ne pas le faire, les Frères ont fait un choix difficile, notamment dû au fait que d'autres islamistes sont déjà dans la course», estime Hassan Nafea.

Pour Rabab al-Mahdi, de l'université américaine du Caire, les atermoiements de la confrérie avant de décider de se lancer dans la course à la présidence traduisent son embarras sur la stratégie à suivre.

Les Frères «ont une machine politique puissante, mais ils ont épuisé toute chance de trouver un candidat de consensus. Khairat al-Chater est en fait leur dernier recours», affirme Mme al-Mahdi.