Des militaires ont annoncé jeudi avoir renversé le régime au pouvoir au Mali après plusieurs heures d'affrontements, l'accusant d'incompétence dans la lutte contre la rébellion touareg et les groupes islamistes dans le nord du pays.

Jeudi vers 4h, heure locale (minuit, heure de Montréal) des militaires en uniforme sont apparus à la télévision nationale qu'ils occupaient depuis mercredi et dit avoir mis «fin au régime incompétent» du président Amadou Toumani Touré, avoir dissous «toutes les institutions», suspendu la constitution et décrété un couvre-feu.

Les militaires ont dit contrôler le palais présidentiel où, selon une source indépendante, le président Touré ne se trouvait plus. Le président Touré est à Bamako, dans un camp militaire, entouré de soldats loyalistes de sa garde présidentielle, a indiqué jeudi à l'AFP une source militaire loyaliste et un membre de son entourage.

«Le président est bien à Bamako, il n'est pas dans une ambassade. Il est dans un camp militaire d'où il dirige le commandement», a déclaré la source militaire loyaliste sous couvert d'anonymat. Un membre de l'entourage de M. Touré a confirmé ces informations, précisant qu'il était avec des Bérets rouges de la garde présidentielle).

Aucune des sources n'a fourni de détails.

Auparavant, un autre responsable militaire loyaliste avait affirmé jeudi à l'AFP qu'Amadou Toumani Touré allait «bien» et était «en lieu sûr, de même que les ministres de la Sécurité (Natié Pléa) et de la Défense (le général Sadio Gassama)», cibles de militaires mutinés qui ont annoncé jeudi avoir renversé le pouvoir.

Certains membres du gouvernement ont été arrêtés, «mais pas tous», avait ajouté ce responsable, sans être en mesure d'en donner le nombre, et sans indiquer leur lieu de détention.

À Paris, le ministère français des Affaires étrangères a appelé au «respect de l'intégrité physique» du président Touré.

«Nous appelons au respect de l'intégrité physique du président Amadou Toumani Touré comme de l'ensemble des personnes retenues qui doivent être libérées», a déclaré le porte-parole adjoint du ministère Romain Nadal.

Le porte-parole des mutins, le lieutenant Amadou Konaré, a dénoncé «l'incapacité» du gouvernement «à gérer la crise au nord de notre pays», en proie à une rébellion touareg et aux activités de groupes islamistes armés depuis la mi-janvier et à «lutter contre le terrorisme» dans une région où sévit également la branche maghrébine d'Al-Qaida.

Regroupés dans un Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l'État (CNRDRE), les mutins ont également «pris l'engagement solennel de restaurer le pouvoir» civil et de mettre en place un gouvernement d'union nationale.

Peu après, le chef de la junte, le capitaine Amadou Sanogo, a annoncé un couvre-feu d'une durée indéterminée.

L'aéroport de Bamako a été fermé et les vols annulés jusqu'à nouvel ordre, a affirmé une source aéroportuaire.

Des tirs sporadiques de sommation étaient entendus dans plusieurs quartiers de la capitale, selon un journaliste de l'AFP et des témoins.

«Beaucoup de gens sont terrés chez eux. Il y a des crépitements (d'armes) de temps en temps, mais la situation est floue», a témoigné un habitant joint par téléphone.

Le responsable militaire loyaliste interrogé a ajouté que «la situation évoluait rapidement. Nous sommes en train de voir ceux qui sont derrière tout cela».

Il a ajouté que les ministres clés de la Sécurité (Natié Pléa) et de la Défense (le général Sadio Gassama) étaient en lieu sûr.

Mais selon un des mutins, des chefs de l'armée loyaliste malienne étaient jeudi «en résidence surveillée» dans la ville de Gao (nord-est) où est établi un poste de commandement décentralisé.

Un autre mutin a ajouté que le ministre des Affaires étrangères, Soumeylou Boubèye Maïga, et celui de l'Administration du territoire, Kafougouna Koné, avaient été arrêtés.

Des échanges de tirs nourris avec la garde présidentielle ont été entendus plusieurs heures dans la nuit de mercredi à jeudi. Aucun bilan n'a été fourni.



Présidentielle annulée

La journée de mercredi avait commencé par une mutinerie dans un camp à Kati, ville-garnison près de Bamako, puis s'était étendue à la capitale.

Le Mali est confronté depuis mi-janvier à des attaques du Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) et d'autres rebelles touareg, dont des hommes lourdement armés qui avaient combattu pour le régime de Mouammar Kadhafi, qui ont pris plusieurs villes du nord du pays.

Un mouvement islamiste armé touareg, Ançar Dine (Défenseur de l'islam) qui veut imposer la charia au Mali, a affirmé contrôler trois villes du nord-est, proches de la frontière algérienne: Tinzawaten, Tessalit, Aguelhok.

Le gouvernement malien a en outre accusé Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), qui a des bases dans le nord du Mali d'où elle opère dans plusieurs pays du Sahel, de combattre avec le MNLA. AQMI a été en particulier accusée d'avoir exécuté sommairement près d'une centaine de soldats maliens à Agulhok.

Ancienne puissance coloniale, la France a souhaité le rétablissement de l'ordre constitutionnel et des élections «le plus vite possible».

«Nous avons condamné ce coup d'État militaire (...). Nous demandons le rétablissement de l'ordre constitutionnel, des élections, elles étaient programmées pour avril, il faut qu'elles aient lieu le plus vite possible», a dit le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé.

Une présidentielle était prévue, avec un premier tour le 29 avril.

Cette réaction a été critiquée par le responsable militaire malien loyaliste.

«Dans des cas comme ça, on ne demande pas l'organisation d'élections dans un bref délai. La première des choses à demander, c'est de rétablir l'État de droit, l'ordre constitutionnel», a poursuivi la source pour qui cet appel traduit une «caution» au coup de force.

L'Algérie a de son côté condamné le coup d'État et exprimé sa «grande préoccupation» devant la situation dans ce pays avec qui Alger coopère contre la contrebande et AQMI.

L'Union européenne a réclamé le retour «dès que possible» au pouvoir constitutionnel.

Le département d'État américain a pressé le Mali de régler les tensions «à travers le dialogue et non la violence». Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a «appelé au calme et à ce que les doléances soient résolues pacifiquement».

L'Union africaine et la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest ont «fermement condamné» le coup d'État.