«La vidéo me rendra-t-elle mon bras coupé ?» lance Angella Atim. À l'instar de cette victime de l'Armée de résistance du seigneur (LRA. Lord Resistance Army), la campagne sur l'internet pour l'arrestation du chef de guerre Joseph Kony laisse perplexe en Ouganda, pays où il a sévi pendant deux décennies.

La vidéo, visible sur le site YouTube, comptait lundi près de 74 millions de vues, une semaine après sa publication. Réalisée par l'ONG américaine Invisible Children, elle vise à lancer une campagne pour arrêter et juger le chef de la LRA, réputé responsable de l'enlèvement, de la torture et de l'exploitation de dizaines de milliers d'enfants ougandais.

Le succès de cette vidéo n'a par la force des choses guère touché le pays concerné: en Ouganda, moins de 10% des 33 millions d'habitants ont accès à internet, selon l'Union internationale des télécommunications.

À fortiori dans le nord du pays particulièrement sous-développé, où la LRA a sévi de 1988 à 2006.

Même sans avoir vu le document, Angella Atim ne cache pas son scepticisme. «En quoi cela va-t-il m'aider ? Ou étaient ces groupes (de soutien) quand nous étions tués par Kony ?», s'emporte cette ancienne commerçante de Gulu (nord), capturée le 27 août 1992 par les partisans de Kony. Son bras gauche a été coupé, comme «punition» dès son deuxième jour de captivité car elle n'arrivait pas à suivre la marche de la troupe, explique-t-elle.

Angella ne peut s'empêcher de soupçonner «les organisations non gouvernementales qui affirment travailler pour nous de se faire de l'argent, alors que nous, nous n'avons même pas le minimum vital». «C'est d'action concrète dont nous avons besoin», ajoute-t-elle.

Les critiques de la vidéo aux États-Unis et en Europe dénoncent son aspect simplificateur et le site internet Charity navigator, qui évalue les associations caritatives, a mis en cause le manque de transparence financière de ses promoteurs.

«L'argent doit aller aux victimes»

Le juriste ougandais Moses Sserwanga, spécialisé dans la défense des droits de l'homme, estime que «la vidéo est une initiative parfaitement légitime», mais que «Kony n'est aujourd'hui plus en mesure d'enlever des enfants et de commettre d'autres atrocités en Ouganda, puisqu'il est en fuite».

«Si cette vidéo permet de gagner de l'argent, cet argent doit aller à la réparation des atrocités commises par Kony dans le nord de l'Ouganda», prévient-il également.

La vidéo appelle les internautes à faire une donation et à acheter le «Kony 2012 action kit» pour 30 dollars. Ce «kit» n'était cependant plus disponible lundi «en raison d'une demande importante», indiquait le site de l'ONG qui suggérait d'autres accessoires, comme un bracelet anti-Kony à 10 $ américains.

La Cour pénale internationale a lancé un mandat d'arrêt contre Joseph Kony dès 2005. Le procureur de la CPI Luis Moreno-Ocampo, interrogé par l'AFP, se félicite sans réserve «que la campagne pour arrêter Kony trouve un écho dans le monde entier». «Nous avons besoin de citoyens actifs, pas seulement de juridiction. Nous avons besoin de citoyens qui, en Californie, se soucient des citoyens au Congo», fait-il valoir.

Pour le gouvernement ougandais, il s'agit de «prendre complètement en considération les réalités actuelles de la situation». Il a rappelé que la LRA «avait été chassée (par l'armée ougandaise) à la mi 2006», et qu'elle n'était aujourd'hui qu'«un groupe diminué et affaibli dont les effectifs ne dépassent pas 300» hommes, et dont le chef se cacherait en Centrafrique voisine.

Le combattant repenti de la LRA Jackson Okoth estime, d'après ce qu'il a entendu dire de la vidéo, qu'elle rapporte fidèlement les exactions de son ancien mouvement. «Mais cette vidéo, c'est comme vouloir monter un cheval mort. Kony n'est plus ce qu'il était il y a dix ans».

«La guerre dans le nord de l'Ouganda est terminée, et les efforts doivent porter aujourd'hui sur le retour des gens chez eux», dit-il en référence aux 1,8 million de personnes déplacées par le conflit.

Solomon Kigane, coordinateur d'un programme d'aide humanitaire à Kitgum (nord), juge la vidéo bien intentionnée, mais «dépassée par les événements». «Nous sommes passés de la guerre à la paix, et ce que nous faisons précisément, c'est aider les gens à revenir à des vies normales».