À défaut de pouvoir serrer la main, Saïd Ahmed Hassan tend le moignon dissimulé par sa manche de chemise pour saluer d'emblée ses interlocuteurs.

Victime de la justice sommaire des shebabs, il a perdu sa main en début d'année après avoir été accusé du vol d'un téléphone cellulaire dont il se dit innocent.

«Ils m'ont emmené sur une place publique et m'ont dit qu'ils devaient me couper la main pour me punir du vol. Une foule a été réunie pour assister à la scène... Deux hommes m'ont empoigné l'avant-bras et deux autres me tenaient la main droite en tirant pendant qu'un cinquième me coupait le bras avec un couteau traditionnel», relate-t-il, d'une voix effacée, en entrevue à La Presse.

«Ils ne m'ont donné aucun analgésique, aucun tranquillisant. La douleur était trop forte. Je me suis évanoui et je suis resté inconscient pendant plusieurs jours... Lorsque j'ai repris mes esprits, les shebabs m'ont prévenu qu'ils me tueraient la prochaine fois que je volerais quelque chose. Ils m'ont dit aussi que je pouvais partir si je préférais», indique le jeune homme, qui vit aujourd'hui dans une section de Mogadiscio contrôlée par les forces pro-gouvernementales.

Attiré par les shebab

Ironiquement, Saïd Ahmed Hassan a songé un temps, avant sa tragique mésaventure, à s'enrôler dans le mouvement islamiste lorsqu'il vivait avec sa tante à Daynile, secteur de la ville où de féroces combats opposent aujourd'hui les deux camps.

«J'étais attiré par leur discours... Ils me donnaient du courage en me disant que j'irais au paradis si je mourais en me battant pour eux», rappelle-t-il.

Sa tante, inquiète de cette possibilité, l'a convaincu à la fin de l'année dernière de quitter ce secteur de la ville pour entreprendre des études, loin des combats et des islamistes.

«J'ai commencé à apprendre à lire et écrire le somali, c'était la première fois de ma vie que j'avais cette occasion. Mais au bout d'une dizaine de jours, je suis revenu à Daynile pour revoir ma tante», confie le jeune homme de 20 ans.

Une fois sur place, il se retrouve au coeur d'une commotion. Une femme, qu'il ne comprend pas, crie que l'on vient de lui voler son téléphone. Des miliciens accourent et verrouillent le secteur avant d'embarquer un groupe d'hommes, dont Saïd Ahmed Hassan.

«Ils nous ont détenus dans une maison et nous ont mis des bandeaux. J'ai entendu la femme qui s'était fait voler parler avec un des commandants qui lui demandait si elle reconnaissait le voleur. Elle a dit que c'était moi.»

Ce n'est qu'après cinq jours de détention que ses geôliers lui ont annoncé le sort qui l'attendait.

«Ils m'ont attaché les jambes et m'ont emmené vers la place en me disant qu'ils devaient me couper la main pour le vol du téléphone pour se conformer au Coran. Des membres de ma famille ont tenté de s'interposer en disant qu'ils étaient prêts à verser une compensation financière à la femme pour me faire pardonner, mais les shebab ont dit que ce n'était pas possible, qu'ils devaient faire leur devoir», relate-t-il.

Il aurait préféré mourir

Le jeune homme, qui a mis plusieurs semaines à se remettre physiquement de cette violente ablation, peine à s'adapter à son handicap, qui l'oblige à demander de l'aide pour réaliser des choses simples comme se laver ou s'habiller.

«J'aurais préféré qu'ils m'enlèvent la vie plutôt que de me couper la main», lance avec dépit Saïd Ahmed Hassan, qui a du mal, pour l'heure, à envisager son avenir.

«J'aimerais bien pouvoir soutenir ma famille. J'aimerais aussi pouvoir partir à l'étranger pour obtenir une nouvelle main», conclut le Somalien, qui redoute le retour des shebab au coeur de Mogadiscio.

«J'espère que le gouvernement va réussir à les vaincre définitivement. S'il fallait qu'ils réussissent à prendre le contrôle de l'ensemble du pays, mieux vaudrait mourir ou partir. Ce sont des gens qui vous coupent en pièces», dit-il.