Le président rwandais, Paul Kagame, effectuera lundi et mardi sa première visite officielle en France depuis le génocide de 1994, afin de rebâtir une relation avec ce pays pourtant toujours accusé par Kigali d'être impliqué dans les massacres de Tutsi il y a 17 ans.

M. Kagame arrivera dès dimanche à Paris où il doit rencontrer des membres de la diaspora et des «amis du Rwanda».

Cette visite répond à celle de Nicolas Sarkozy en février 2010 à Kigali, la première là aussi d'un chef d'État français depuis le génocide.

Paris et Kigali ont renoué en 2009 des relations diplomatiques rompues en 2006 en raison d'une enquête judiciaire en France sur les événements ayant marqué le début du génocide rwandais.

Lors de sa visite à Kigali, M. Sarkozy avait reconnu «une forme d'aveuglement» de Paris pour n'avoir pas «vu la dimension génocidaire» du régime rwandais hutu qu'il soutenait à l'époque, et dont les éléments extrémistes allaient orchestrer le massacre de plus de 800 000 personnes, en grande majorité d'origine tutsi, entre avril et juin 1994.

Ces propos avaient été salués par le régime de Paul Kagame, issu de la guérilla du Front patriotique rwandais (FPR) qui a pris le pouvoir en juillet 1994.

«La visite du président Kagame à Paris est un pas dans la normalisation des relations» entre les deux pays, a estimé la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, dans un entretien à l'AFP, tout en prévenant qu'il s'agissait d'«un processus qui ne se passe pas en une journée».

Témoignage de ces difficultés, l'absence de Paris, pendant la visite de M. Kagame, du ministre français des Affaires étrangères Alain Juppé, alors en visite dans le Pacifique.

Après sa prise de fonctions en mars, Alain Juppé avait prévenu n'avoir aucune intention de rencontrer Paul Kagame tant que circulerait au Rwanda un rapport accusant la France de complicité avec les génocidaires, qu'il qualifie de «tissu de mensonges et d'inventions».

Une «insulte» pour des militaires français

Déjà à la tête de la diplomatie française au moment du génocide, Alain Juppé fait partie des nombreuses personnalités françaises mises en cause en 2008, pour leur implication présumée dans le génocide, par une commission d'enquête rwandaise présidée par l'ancien ministre Jean de Dieu Mucyo.

«On en fait un peu trop sur cette affaire du ministre Juppé et du Rwanda. C'est peut-être un aspect attractif pour les médias, mais du côté rwandais cela ne nous gêne pas du tout», a assuré Mme Mushikiwabo.

Sur le fond, la ministre estime que le rapport Mucyo «est un rapport valable».

«Il serait malhonnête aujourd'hui de commencer à dire qu'il n'y a pas eu de problèmes entre certains responsables français, notamment politiques et militaires, dans toute l'affaire du génocide. (...) Ce n'est pas en niant que l'on va changer l'Histoire».

À l'opposé, une association d'anciens militaires français ayant participé en 1994 à l'opération française humanitaro-militaire Turquoise au Rwanda a qualifié d'«insulte pour les militaires français ayant servi» dans ce pays la visite de M. Kagame.

Certains diplomates à Paris s'interrogent également sur l'opportunité de cette visite, alors que l'évolution du régime Kagame le ferait s'éloigner, selon eux, du chemin de la démocratie et de la défense des droits de l'homme.

Deux partis d'opposition rwandais non reconnus par le pouvoir, les FDU et le RNC, reprochent à Paris «une politique de deux poids deux mesures» en accueillant Paul Kagame après avoir contribué à faire tomber l'ancien numéro un libyen Mouammar Kadhafi, deux personnalités qu'ils assimilent volontiers. La présidente des FDU, Victoire Ingabire, comparait depuis lundi devant un tribunal de Kigali pour, entre autres, «complicité de terrorisme».

Kigali attend en tout cas des investissements français plus conséquents au Rwanda, dans l'énergie, les infrastructures et le tourisme. M. Kagame rencontrera mardi le patronat français, les opposants des FDU et du RNC appelant à une manifestation de protestation à cette occasion.