L'Afrique du Sud a remis en chantier mercredi la question ultra-sensible de la redistribution des terres dont la majorité noire a été dépossédée il y a près de 100 ans.

Le gouvernement, pour qui cette réforme est une priorité depuis l'accession de Jacob Zuma à la présidence en 2009, a évoqué des limites à la propriété étrangère, tout en appelant sa base à la «patience».

Maintes fois promise et reportée, elle vise à résorber les inégalités héritées du Natives Land Act de 1913 qui avait confiné les Noirs sur 7% du territoire, les poussant à devenir ouvriers agricoles, mineurs ou travailleurs migrants.

En même temps, a souligné le ministère du Développement rural et de la Réforme agraire dans un communiqué, «comment rompre rapidement et radicalement avec le passé sans perturber significativement la production agricole et la sécurité alimentaire?»

«Personne dans le monde n'a de solution magique pour résoudre ces questions foncières postcoloniales», a déclaré pour sa part lors d'un point presse au Cap le ministre responsable du dossier, Gugile Kwinti, en ouvrant une période de consultations de deux mois.

«Dans notre pays, nous voulions résoudre le problème hier, ce n'est pas possible sur un sujet aussi sensible. Cela va prendre encore un peu de temps et demander de la patience», a-t-il ajouté. «Nous n'avons pas de réponse toute faite».

Depuis la fin de l'apartheid en 1994, seuls 5% des terres environ ont changé de main. À l'époque, la minorité blanche détenait 87% des terres.

L'échec est d'autant plus cuisant que là où il y a de nouveaux propriétaires noirs, ceux-ci, faute de capital, peinent à se maintenir à flot, et seules 10% des fermes transférées sont productives.

Dans son Livre vert, le gouvernement propose de privilégier la location de terres privées ou publiques, de placer des pâtures communales sous l'autorité de chefs traditionnels, mais aussi de limiter en taille les propriétés privées, et pour les étrangers, d'assortir le droit de propriété à des conditions et à des obligations.

Les détails n'ont pas été donnés, le ministre affirmant vouloir «garder le contrôle du patrimoine national que constitue la terre» et s'inspirer de ce qui se fait «partout ailleurs», sans préciser où.

Au Zimbabwe voisin, une réforme foncière menée dans la violence en 2000 a entraîné un effondrement de la production et des pénuries.

Une chose est sûre. L'objectif pour 2014 était de «redistribuer 30% des terres arables, 82 millions d'hectares en Afrique du Sud, détenues par des exploitants agricoles blancs à des aspirants fermiers noirs», a rappelé à l'AFP M. Nkwinti.

Mais l'État devrait sortir 40 milliards de rands (5,6 milliards de dollars) pour acheter ces terres et «je ne nous vois pas sortir cette somme (...)», a dit le ministre.

En 2010, un quart du budget destiné à l'acquisition de terres a servi à sauver des exploitations en perdition.

Le projet de réforme s'attaque également au problème du prix de rachat des terres aux fermiers blancs, dont certains, des exploitants expérimentés, n'hésitent pas à partir s'établir ailleurs sur le continent africain voire en Géorgie (Europe).

Les annonces ont été accueillies avec «inquiétude» par le syndicat des fermiers sud-africains AgriSA. «Par principe, nous sommes contre toute restriction à la propriété privée, simplement parce que c'est un non-sens économique», a exposé à l'AFP une de leurs juristes. «Je vois bien pourquoi c'est une option attirante pour le ministre et le gouvernement, mais ils n'en mesurent pas les conséquences possibles ni la complexité».

L'agriculture emploie 600 000 personnes en Afrique du Sud. La dépossession historique de la terre a rendu les Noirs dépendants du travail salarié, et est l'une des explications avancées au chômage élevé qui alimente la criminalité.