Le Sénégal avait promis «au nom de l'Afrique» de juger l'ex-président tchadien Hissène Habré pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité, mais a tergiversé pendant de longues années, avant finalement de se débarrasser de lui en le renvoyant à N'Djaména.

Le gouvernement sénégalais a expliqué vendredi ce renvoi d'Hissène Habré, exilé à Dakar depuis sa chute du pouvoir en 1990, par la nécessité de se conformer à une demande de l'Union africaine (UA) de «le juger ou l'extrader».

«Nous ne voulons pas être en faute par rapport à cette injonction de l'UA», a affirmé le ministre sénégalais de la Communication Moustapha Guirassy, porte-parole du gouvernement.

Il y a cinq ans, en 2006, c'était également pour répondre à une demande de l'UA que le Sénégal avait accepté, «au nom de l'Afrique», de juger sur son territoire l'ancien président tchadien pour crimes contre l'humanité, crimes de guerre et actes de torture pendant ses huit ans de règne (1982-1990).

Au départ, la volonté du président sénégalais Abdoulaye Wade, semblait inébranlable pour mener à bien ce procès, par des Africains, d'un dirigeant africain accusé d'avoir les mains tachées de sang, une première.

Le Sénégal est même allé jusqu'à modifier sa Constitution, en introduisant de manière exceptionnelle une rétroactivité pour ces crimes.

Mais le processus s'est enlisé, officiellement pour raisons financières, et aucune information judiciaire n'a jamais été ouverte au Sénégal.

Des bailleurs de fonds s'étaient réunis en novembre 2010 à Dakar, promettant des contributions de 8,5 millions d'euros pour financer le procès Habré, alors que le Sénégal exigeait 27 millions d'euros.

Le gouvernement sénégalais avait prévu de coûteux travaux pour réhabiliter une aile abandonnée de l'ancien palais de justice de Dakar pour juger Habré, ce qui n'apparaissait pas réellement indispensable aux bailleurs de fonds.

Le financement enfin acquis, la préparation du procès aurait dû pouvoir commencer, au sein d'un «Tribunal international ad hoc», une nouvelle exigence de l'UA, mais les dernières négociations menées en 2011 entre l'UA et les Sénégal ont échoué.

«Maintenant, le président de la Commission de l'UA dit qu'il faut créer une juridiction spéciale pour le juger au Sénégal», s'était agacé le président Wade en février. «J'ai dit stop. Je suis déssaisi», avait-il ajouté, estimant que c'était à l'UA «de prendre ses responsabilités».

Il avait exclu d'extrader Hissène Habré vers la Belgique où une plainte d'une des victimes présumées de Hissène Habré a été déposée.

Des ONG de défense des droits de l'homme avaient elles estimé qu'après l'échec des dernières négociations UA-Sénégal en mai, «l'ultime alternative pour éviter l'impunité des crimes de masse reprochés à l'ex-dictateur Hissène Habré est son extradition vers la Belgique, pour qu'il y soit jugé».

Et vendredi, Allioune Tine, président de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme (Raddho), ONG basée à Dakar, a estimé qu'en renvoyant chez lui Hissène Habré, on l'amène «tout simplement à l'abattoir».

«Au Tchad, Hissène Habré ne va jouir d'aucune garantie d'un procès équitable. Il n'aura aucune protection et a toutes les chances que quelqu'un vienne se venger de lui et l'achever», a-t-il affirmé.

Récemment, Jacqueline Moudeina, présidente de l'Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l'Homme (ATPDH) déclarait: «en prétendant vouloir juger Habré, le Sénégal nous a bercés d'illusions».