Dans toutes les révolutions, il y a des héros. Puis, il y a des bourreaux. Mais rarement voit-on une seule personne qui porte les deux titres à la fois. C'est pourtant le cas de Fadia Hamdi.

Pendant plusieurs semaines, cette policière dans la quarantaine, mesurant à peine 5 pieds, est devenue le symbole de la corruption et de l'abus de pouvoir qui est à l'origine de la révolution tunisienne, mais aussi des soulèvements du monde arabe en entier.

Le crime qui lui était reproché? Fadia Hamdi est la policière qui a saisi la marchandise de Mohamed Bouazizi et l'aurait giflé. Ce vendeur de fruits de 26 ans s'est par la suite immolé à la place principale de Sidi Bouzid, en décembre, dans un geste de désespoir. Sa mort a marqué le début des manifestations qui ont mené à la chute du président Zine el-Abidine Ben Ali le 14 janvier.

Lors du passage de La Presse à Sidi Bouzid en janvier, Mohamed Bouazizi était acclamé en héros et il suffisait de dire le nom de Fadia Hamdi pour que les insultes et les menaces fusent. «Qu'elle ne remette jamais un pied à Sidi Bouzid, nous avait dit un jeune homme. Elle n'en repartira pas vivante». À l'époque, plusieurs jugeaient que la gifle, assenée par une femme, était un des pires gestes d'humiliation qu'un homme arabo-musulman puisse subir.

Pourtant, mardi, c'est sous les acclamations et les «youyous» que Fadia Hamdi, vêtue d'un survêtement de sport fuchsia, a été libérée à Sidi Bouzid. Elle venait tout juste d'être acquittée par la justice tunisienne de ladite gifle après avoir passé quatre mois en prison.

Bouc émissaire

Alors qu'en janvier, des dizaines de personnes à Sidi Bouzid disaient avoir assisté au geste reproché à la policière, il ne restait plus que deux témoins disposés à témoigner la semaine dernière et leurs versions des faits étaient contradictoires, explique Olfa Belhassine, journaliste qui a couvert le procès pour La Presse de Tunisie. La famille de Mohamed Bouazizi a elle aussi retiré sa plainte. La justice a conclu à un non-lieu.

Un comité de soutien à Fadia Hamdi a vu le jour dans les dernières semaines. Composé de notables de Sidi Bouzid, le comité estime que Mme Hamdi a été le bouc émissaire de Ben Ali, qui l'a fait mettre en prison pour apaiser les manifestants. Elle a passé plus de quatre mois derrière les barreaux et avait récemment entamé une grève de la faim. «Ce n'est pas pour ses beaux yeux que nous la soutenons, mais parce que nous pensons qu'il faut faire respecter la loi. Je savais depuis le début qu'il n'y avait pas de preuve solide dans cette affaire», explique Abdenkhalek Hamdouni, expert judiciaire en comptabilité qui a lancé le mouvement.

Jalousie?

Selon Olfa Belhassine, il n'y a pas qu'une question de droit derrière le retournement d'opinion. Il y a aussi une bonne dose de jalousie envers la famille Bouazizi, qui a reçu beaucoup d'attention depuis que Mohamed, héros tragique, est devenu le visage d'une révolution.

Des chefs d'État, le secrétaire général des Nations unies, tous les chefs de parti tunisiens et des dizaines de journalistes sont débarqués dans la petite maison de la famille à Sidi Bouzid. Les gens de la petite ville du centre de la Tunisie, laissée pour compte du développement économique, sont convaincus que tout ce brouhaha leur a rapporté des centaines de milliersde dollars.

Cette information non vérifiée a beaucoup voyagé sur Facebook et, du coup, celle qui était hier responsable de tous les maux est du jour au lendemain devenue plus sympathique aux yeux de plusieurs. «Tous pour soutenir Fadia Hamdi. Il faut la libérer et tant pis pour la famille Bouazizi qui a soif d'argent et a reçu 200 millions de dinars. Elle, elle ne nous a pas volés», écrit un Tunisien sur une page Facebook en soutien à Mme Hamdi. «Elle est autant responsable de la révolution que Mohamed Bouazizi», écrit un autre. Dans la Tunisie postrévolution, un mythe peut vite en remplacer un autre.