Des émeutes meurtrières dans le nord du Nigeria, majoritairement musulman, provoquées par la réélection du président Goodluck Jonathan, un chrétien du Sud, ont fait encore plusieurs morts dans la nuit de lundi à mardi, selon la Croix-Rouge.    

Le nombre de blessés par balles, par machettes ou ayant reçu des coups est passé de 276 à 362, a ajouté la Croix-Rouge qui n'était pas en mesure de préciser le nombre de morts et qui faisait état du retour mardi à «un calme relatif». Aucun bilan officiel des victimes n'était disponible mardi.

Goodluck Jonathan a été proclamé lundi vainqueur de l'élection présidentielle. Son principal rival, Muhammadu Buhari, un musulman du Nord, largement devancé, a lancé mardi un appel au calme et condamné les violences.

M. Buhari, qui dirigea une junte militaire en 1984-85, a obtenu quelque 12 millions de voix (31%) contre 22 millions (57%) au président sortant, à la présidentielle qui s'était déroulée samedi.

«J'apprends avec peine l'éruption de la violence dans quelques parties du Nord à la suite de l'annonce des résultats de l'élection et les attaques contre des églises et des chrétiens», a déclaré mardi Muhammadu Buhari à la BBC en langue haoussa, parlée dans le Nord.

«Mon parti et moi, nous nous dissocions de ces événements. J'ai contesté les élections en 2003 et en 2007 mais je n'ai jamais eu recours à la violence. Je n'ai pas de raison de le faire cette fois-ci. J'appelle le peuple à rester calme et à respecter la loi», a-t-il déclaré.

Les premières violences avaient éclaté dimanche soir, provoquées par des accusations de fraudes lors du scrutin. Le principal parti d'opposition, le Congrès pour le changement démocratique dont M. Buhari était le candidat, a contesté pour irrégularités le résultat de la présidentielle, dans une plainte envoyée à la Commission électorale.

Les émeutes ont affecté 14 États où des manifestants musulmans ont brûlé des commerces, des églises et des maisons, faisant plusieurs morts, selon un responsable nigérian de la sécurité.

Elles ont fait rage à Kano, la deuxième ville du pays, et a Jos (centre), localité qui marque la frontière entre le Nord musulman et le sud chrétien, lieu de fréquentes violences intercommunautaires.

Des violences ont aussi été signalées dans les villes de Kaduna, Zaria et Sokoto.

Dans la ville de Potiskum, dans l'Etat de Yobe (nord-est), des témoins ont rapporté que la foule avait tenté d'immoler une chrétienne en lui passant un pneu enflammé autour du cou mais qu'elle avait été sauvée par des habitants.

«La situation s'est relativement calmée à présent mais des manifestations violentes ont eu lieu pendant la nuit, tout spécialement (dans les États de) Kaduna, Katsina et Zamfara», a déclaré mardi matin à l'AFP Umar Abdul Mairiga, coordinateur de la Croix-Rouge nigériane, sans plus de précisions.

«Ce qui va en sortir est inacceptable car de nombreuses personnes ont été tuées, spécialement dans le sud de l'Etat de Kaduna», a-t-il ajouté.

Les troubles dans le Nord ont déplacé plus de 15 000 personnes, selon la Croix-Rouge. «La colère monte chez ces déplacés car aucun secours ne leur parvient», a ajouté M. Mairiga.

Selon des habitants de Kano, la principale ville du Nord, de jeunes chrétiens ont brûlé mardi une mosquée dans les faubourgs. La police locale a confirmé cet incident à Tudun Wada, à la périphérie de la ville mais «la situation est sous contrôle», a relevé un porte-parole, Magaji Majia.

Ce responsable devait rencontrer les chefs traditionnels et l'imam de la mosquée, ajoutant qu'un couvre-feu de 24 heures a été instauré.

Le président Jonathan avait lancé lundi un appel à l'unité, tendant la main à ses rivaux dont il a dit qu'il les considérait comme «non pas des opposants, mais des partenaires».

Il a estimé que les Nigérians avaient «montré au monde qu'ils étaient capables d'organiser des élections libres, honnêtes et crédibles».

Dans l'ensemble, les observateurs ont jugé le scrutin de samedi plus honnête que les précédents mais des résultats anormalement élevés en faveur de M. Jonathan dans ses bastions du sud ont semé le doute: l'État d'Akwa Ibom lui a donné 95% des voix et celui de Bayelsa, son État natal, 99,63%.

«De tels chiffres au-dessus de 95% paraissent inventés et posent de graves interrogations sur la crédibilité de l'élection», a estimé Jibrin Ibrahim, observateur d'une ONG, le Centre pour la démocratie et le développement.