Des soldats se livrent à des pillages. Des commerçants incendient des immeubles gouvernementaux. Des étudiants participent à de violentes émeutes. Depuis un mois, le Burkina Faso brûle. Pour tenter de contenir la révolte, Blaise Compaoré, au pouvoir depuis 24 ans, a dissous le gouvernement et quitté la capitale, Ouagadougou. Ses critiques rêvent d'une révolution à la tunisienne.

Il suffit de prononcer le nom de Blaise Compaoré, président du Burkina Faso, pour que s'enflamme Aziz Fall, enseignant en science politique à l'UQAM. Ce dernier préfère d'ailleurs nous prévenir en début d'entrevue: «Je vous parle en toute subjectivité. Il n'y a personne ici qui connaît mieux ce type-là que moi, puisque très peu de gens osent le défier. Il a transformé ma vie en enfer.»

Depuis 14 ans, M. Fall, un ardent défenseur des droits de la personne, coordonne une campagne internationale pour que la lumière soit faite sur l'assassinat de l'ancien président burkinabé, Thomas Sankara, lors du coup d'État sanglant d'octobre 1987.

Cette campagne a mené M. Fall devant la Cour suprême du Burkina Faso et devant le Comité des droits de l'homme des Nations unies. Elle embête passablement le président Compaoré, qui aimerait bien faire oublier ce péché originel. Et qui s'affiche désormais comme un artisan de la stabilité en Afrique de l'Ouest.

«En 2007, j'ai reçu des menaces de mort, raconte M. Fall. Mon appartement était surveillé par la GRC. On a aussi menacé de s'en prendre à mes enfants; je ne les ai pas vus pendant un an, afin de ne pas les mettre en danger. Je ne pouvais même plus prendre un café en paix au restaurant... C'est ce que (Compaoré) a fait de ma vie...»

»Pas le plus fiable»

En 1983, Blaise Compaoré et Thomas Sankara ont fait la révolution ensemble. «C'est un homme très intelligent et très délicat», avait déclaré Sankara à propos de son ami d'enfance. «Le jour où vous apprendrez que Blaise prépare un coup d'État contre moi, ce ne sera pas la peine de chercher à vous y opposer ou même à me prévenir. Cela voudra dire qu'il est trop tard», avait-il ajouté.

C'était en 1987. Quelques semaines plus tard, selon Le Monde, Sankara était tué par une rafale de mitraillette à la présidence.

Depuis, le «beau Blaise» dirige le pays. Il a quitté l'uniforme. Sans opposition crédible, l'homme de 60 ans a été réélu à quatre reprises avec des scores tout soviétiques.

«Il connaît tout l'intérêt de cultiver son image de faiseur de paix régional, après avoir longtemps porté l'habit du putschiste déstabilisateur dans les années 1990. Reconversion réussie», estimait en novembre le quotidien français.

Les médiations du président burkinabé en Guinée, au Togo, au Darfour et ailleurs lui ont en effet redonné une virginité aux yeux de plusieurs Occidentaux. Mais pas à ceux de Louise Arbour, présidente de l'International Crisis Group.

«M. Compaoré, qui a été militaire, meneur de coup d'État et parrain politique de Charles Taylor (l'ex-dictateur libérien aujourd'hui accusé de crimes de guerre), n'est pas l'homme le plus fiable pour prêcher la démocratie», écrivait l'ancienne juge québécoise en 2009 dans l'International Herald Tribune.

Des courbettes au Québec

«Quand M. Compaoré vient au Québec, on lui fait des courbettes, déplore M. Fall. Jean Charest a des liens importants avec lui.» Le premier ministre l'a notamment invité au sommet de la Francophonie de Montréal, en octobre 2008. Il lui a aussi fait visiter les installations hydroélectriques de la Baie James.

Pour le politologue militant, les raisons de cet empressement sont évidentes: «Il faut bien reconnaître cyniquement que l'Afrique de la mondialisation, c'est l'Afrique sans les Africains. C'est l'Afrique des ressources, des matières premières.»

Président de la société minière montréalaise Semafo, Benoît Lasalle connaît bien le président Compaoré. Mais en cette période troublée, il préfère ne pas commenter. Pour le moment, il n'est pas question de rapatrier la cinquantaine de travailleurs québécois à la mine d'or de Mana, qui n'a pas été touchée par les émeutes.

Le titre de Semafo, toutefois, a été ébranlé par ces violences. Pendant que M. Lasalle prie pour que les choses se calment, M. Fall espère une révolution à la tunisienne. «Je suis convaincu que les Burkinabés se réveilleront un jour. (Maintenir le statu quo), c'est comme arrêter la mer avec ses bras. C'est impossible.»